« Et si « on était encore Charlie » quelques mois après…
Et si on était Charly… Maya… Sophie… Elias….
Et si on se responsabilisait autour de notre jeunesse avant qu’elle nous « pète » à la gueule…
C’est parce qu’il me semble que la société a les jeunes qu’elle mérite, que j’ai envie de vous proposer d’être fier de mériter vos jeunes ! »…
Certains réfléchissent, mais ça s’arrête là. D’autres agissent sans réfléchir, ce qui est loin d’être toujours probant. D’autres réfléchissent puis agissent, et là c’est souvent plus intéressant.
Sabra Ben Ali est de ceux là. Sa bataille, sa croisade, du haut de ses 29 ans, comme les quelques lignes plus haut l’attestent, ce sont les jeunes. Surtout ceux en situation d’insertion ou de décrochage scolaire.
Psychologue clinicienne décalée, Sabra est le trait d’union d’un projet mû par une dynamique citoyenne mêlant insertion, écologie et santé, histoire de favoriser une entrée en douceur dans le monde du travail de ceux qui sont loin d’en avoir les clefs.
Porté par l’association Entr-autres, RéciProCité, est un projet global qui s’intègre tellement bien dans notre rubrique V.I.P, que je vais même embarquer sur son bateau, symbole et logo de l’aventure, parce qu’on est bien tous dans la même galère.
Sabra Ben Ali ou l’Itinéraire d’une déterminée
Née à Bruges, non pas la ville belge mais celle dans le 33, le 16 avril 1986, Sabra Ben Ali (entre l’évocation d’un massacre et un patronyme homonyme d’un dictateur, elle a pris le parti d’en rire) a beaucoup été en Tunisie, terre d’origine de toute sa famille, jusqu’à l’âge de 18 ans. Puis, forte du pouvoir que donne la majorité, elle dit, c’est assez ! et décide de passer dès lors ses vacances où ça lui chante.
Question cursus scolaire, Sabra a longtemps eu peur de l’école, peut-être impressionnée par l’importance écrasante que les études représentaient pour son père et sa mère qui n’en n’avaient jamais fait. Cependant, déjà elle affirmait sa personnalité en faisant ses devoirs pendant les cours, tout en trouvant le moyen d’être bonne élève. Capable d’apprendre sa leçon d’histoire pendant le cours de français, ou de faire ses maths pendant celui de géographie.
En classe européenne au Lycée Magendie (elle est interne dès l’âge de 16 ans au lycée Victor Louis à Talence, banlieue de Bordeaux, qui accueille les pensionnaires de Magendie), elle fait du Japonais et passe un bac littéraire.
Après avoir suivi pendant un temps très éphémère des études de droit, tout en travaillant dans une boulangerie (issue d’un milieu ouvrier où on bosse dur, elle s’est toujours débrouillée pour s’assumer), Sabra s’investit dans le bénévolat : au Foyer Fraternel Gouffrand notamment, un centre social aux Chartrons tourné vers l’action sociale et humanitaire en développant le « vivre ensemble », et à la Banque alimentaire… La générosité étant une constante de son tempérament, aider l’Autre, le fil rouge de sa vision de la vie.
Une copine qui faisait psycho lui dit : Viens avec moi ! Et c’est ce qu’elle fait. Sabra s’inscrit en fac et pour vivre travaille au Palatium, un bistrot emblématique de Bordeaux fondé en 1913. À la fac, pas plus qu’à l’école elle n’est assidue, mais ne perd pas son temps pour autant :
« Le Pala a été une fabuleuse école humaine pour moi et une expérience importante. C’était mon premier salaire, ma 1ère vraie rencontre avec l’argent et le monde du travail ».
Elle rate son année. Rempile, passe en seconde année, s’ennuie. Seule la philo lui plait. Et l’école de la vie continue. En plus du Palatium, elle travaille au marché des Capucins et se souvient :
« Chez Jean-Mi, j’ai fait de supers rencontres. Nous étions une belle équipe avec que des personnages. J’y ai appris qu’on pouvait être respecté et bien payé. Qu’un patron pouvait prendre soin de ses employés. Tout le monde me suivait et s’inquiétait pour mes examens. »
Pourquoi elle fait de la psycho, en fait elle n’en sait rien. Elle connait des psy depuis qu’elle a 15 ans. Elle ne s’en cache pas et trouve que c’est très bien de faire une analyse. Comme une sorte d’hygiène de vie. Le cabinet du psy étant un cadre, un re-père où on réfléchit.
Lisbonne, Nice, Bordeaux
Pourtant elle continue et part un an en Erasmus, à Lisbonne. Elle y apprend le portugais, travaille comme serveuse et fera sa première rencontre avec… l’orange pressée. Boisson bonne et pas chère que tout le monde boit dans les rues puisque produite sur place. Vitamines bon marché, accessibles à tous.
Sabra a 22 ans. Au Portugal elle a cette fois assisté aux cours et acquis de la méthode. Mais son envie d’être psy l’a quittée. Elle se verrait plutôt médiatrice.
Du coup, de retour en France elle cherche une filière inter-culturelle bien côtée. Elle la trouvera à Nice où elle s’inscrira en Master 2 Psychologie, Spécialité : Psychopathologies Interculturelles, Clinique du Lien Social, des Situations de Crises et des Traumatismes.
Boursière, elle apprend de retour de Lisbonne qu’elle a en plus obtenu une bourse au mérite. Elle fait du service (pas son meilleur souvenir), donne des cours d’alphabétisation, trouve un poste de pionne (le grand luxe). A la fac c’est le coup de foudre avec la psychanalyse, un flash qui la motivera pour passer le barrage de la sélection et faire partie des 25 élus sur plus de 800 postulants. Porte ouverte sur une formation à plein temps, intense mais passionnante. La dilettante pendant 3 ans sera au taquet !
» J’ai appris à dire, à parler, à formuler, à identifier. C’est mon bagage !«
Mais à Nice il n’y a pas de travail… Il va lui falloir créer son emploi en sondant, en étant à l’écoute de son environnement. C’est alors qu’elle apprend que Michel Guérard, le cuisinier 3 étoiles, chef de file de la nouvelle cuisine, cherche un psy pour ses thermes dans les Landes. Depuis 3 ans, 3 fois par mois elle s’y rend en libérale.
En parallèle, elle trouve un poste en mission locale qui la met en contact avec les jeunes et l’initie aux finesses de la logique institutionnelle et politique à laquelle elle n’entend rien, mais qui l’intéresse.
Elle remplit des cases, mets des gens dans des colonnes. Mais on lui dit que ses chiffres sont en baisse.
Elle se dit du coup qu’elle est payée en fonction des stats et qu’elle a tout intérêt à ne pas guérir les gens… S’ensuit chez Sabra un gros questionnement existentiel. Comment marche le monde? Pour quel accompagnement, si c’est la logique économique qui prime?
La vie en orange
Heureusement il y a les amis. Des commerçants, pragmatiques, productifs et humains comme Italo Passaro, le gérant de L’Artigiano et Sandra Mathieu, commerçante au marché des capus qui vend du jus d’orange, amie d’enfance de Sabra. Pour cette dernière, il est évident qu’il est plus profitable pour les jeunes de rencontrer des gens comme Italo et Sandra, que des psy, même s’ils ont leur utilité.
C’est alors qu’Italo lui parle de son désir de vente ambulante de sirops sur les quais, avec un vélo… et de l’interdiction de la ville concernant la vente ambulante. Sabra se renseigne, identifie les blocages, décrypte les différents discours et pendant un mois, nuit et jour, réfléchit, la tête en ébullition, pour accoucher d’un projet co-créé avec tous ceux à qui elle a demandé aide et conseils.
En résumé la vente de jus d’orange frais pressé sur les quais de Bordeaux par un binôme composé d’un jeune entre 16 et 25 ans et un salarié de l’association « Entr-Autres » ou un adulte bénévole, transportés par une « Rosalie » un quadricycle spécialement aménagé pour l’occasion.
Temps d’échange où le jeune est formé sur le point de vente, et sensibilisé aux valeurs portés par l’association. Pour découvrir le projet dans son intégralité, c’est ICI.
Décrire par le menu le parcours du combattant qu’a du effectuer Sabra pour imposer Entr-autres serait trop long. Il suffit juste de savoir que de guerre lasse, elle a failli partir au Canada. Mais le hasard est là qui veille et la conduit à Marion Clair, coordinatrice du Pôle Santé à la Direction du Développement Social Urbain de la Ville de Bordeaux.
Cette dernière convoque tous les services concernés, à savoir : l’écologie, l’insertion et la santé (ce n’est pas pour rien qu’il y a global dans le titre de cet article).
Avec Italo, elle le présente à la ville, mais d’entrée le cabinet événement dit non. Et là miracle, les services annexes concernés par le projet s’unissent pour prendre sa défense et décident de travailler ensemble.
Pendant un an Sabra peaufinera, « tricotera », naviguera d’un service à l’autre pour revenir avec un projet plus conforme aux exigences des décideurs.
Et puis, à trois semaine du lancement, alors que le projet a gagné tous les prix jeunesses du département, de la région et de la ville, de nouveau c’est le véto !
Abattue, désabusée, elle réalise la place phénoménale que ce projet a pris dans sa vie. Elle a même réussi à récolter 4000 euros via un financement participatif Ulule. Heureusement, son frère est là qui la soutient et lui conseille de lancer une pétition aux Capus, dont le succès surprenant la réconforte.
Les médias s’en mêlent, elle va devoir leur expliquer que tout en ayant gagné des prix pour son projet, elle n’a pas l’autorisation de la mairie de le lancer… C’est d’ailleurs à ce moment là que nous nous sommes connues. Mais le dénouement approche, puisqu’après avoir longtemps dit non, Jean-Louis David, l’adjoint au maire en charge de la vie urbaine et de la coordination de la politique de proximité dit enfin OUI !
Rosalie, rosalie !
En juin 2014 la fabrication du vélo, est lancée. En conformité avec les idées de Sabra et Italo, il sera réalisé sur mesure par Cédric Couturier, mécano et plasticien, au Garage moderne sous la forme d’une rosalie. Et en juillet 2014, l’exemplaire unique aux couleurs acidulées orange et bleu est sur les quais !
Question chiffres, au cours de la première année d’activité, 16 jeunes ont été accompagnés par 50 bénévoles, et 9 jeunes trouvent du travail ou une formation. L’association RéciProcité emploie alors une salariée.
En cette deuxième année, 36 jeunes auront fourni des vitamines aux promeneurs, aux skateurs et aux touristes. Il est trop tôt pour quantifier le nombre d’adultes bénévoles qui ont choisi de donner de leur temps.
Ce qui est sûr c’est que l’association compte aujourd’hui 3 salariés. Et que des portraits avec exposition à la clef sont dans les tuyaux dont, avec Gary Lafitte, un photographe professionnel, je suis partie prenante, convaincue du sens et de l’excellence du projet que Sabra Ben Ali va encore faire évoluer.
To be continued…
0 commentaires