« Dans 30 ans, quand les gens verront comment nous avons été traités par la police et les autorités alors que nous luttions pour sauver la planète, ils se diront que le pays était gouverné par des fous ! »
Cette conclusion, lancée à la cantonade par le basque Txetx Etcheverry à l’issue d’un petit documentaire tourné lors d’un acte de désobéissance civile … fait froid dans le dos et résonne dans l’esprit des auditeurs de cette deuxième édition d’Ocean Climax à Darwin.
Un bilan qui fait froid dans le dos
La salle est comble. Il faut dire que l’affiche est belle avec la participation de Nicolas Hulot en tant que Président du Festival. Les bordelais, mais également les scolaires et leurs professeurs, se sont pressés pour venir l’écouter.
Une heure plus tôt, Nicolas Thierry, vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine, assénait lui aussi des propos effrayants, affirmant que dans 35 ans, notre région, qui bat déjà le record du réchauffement, aura le même climat que Séville, que le débit de la Garonne aura diminué de moitié, que la forêt landaise sera fragilisée par l’arrivée de parasites, par les tempêtes et que les vendanges se feront en plein été.
Oui vous lisez bien, 35 ans ! Ce n’est plus : le jour viendra où… dans plusieurs générations… dans 100 ans… non 35 ans. Donc un futur qu’une grande partie d’entre nous connaîtra, un futur qui sera le présent de nos enfants. Et le problème, disait Hubert Reeves l’an dernier, est la rapidité avec laquelle se produit ce changement climatique. Si rapide qu’il ne laissera pas le temps à la nature, à la faune, aux humains de s’adapter.
Il faut vraiment déplorer et maudire cette capacité mystérieuse et inquiétante que possède l’être humain, de nier la réalité quand elle lui fait du mal ou qu’elle le dérange.
Car alors même que Nicolas Thierry assure que la prise de conscience est bien là et que des initiatives sont prises pour favoriser les énergies renouvelables, son discours est soudain entaché par l’intervention d’un groupe d’anti-LGV. Son porte-parole, invité (d’un signe de tête de Nicolas Hulot) à monter sur scène, affirme que ce projet, porté par la Région est une folie. Jamais reconnu d’utilité publique, sa réalisation va coûter des milliards (alors que la SNCF est déjà en déficit) et va encore réduire la surface des terres agricoles et des forêts.
Le discours de Nicolas Hulot
La transition est toute trouvée pour Nicolas Hulot qui jette, en préambule de sa démonstration, que la démocratie participative est une fumisterie avec de faux débats qui font croire aux gens qu’ils sont écoutés. Il est indispensable de tenir compte en amont des différentes opinions éclairées afin de prendre des décisions sages.
« La sanctuarisation des terres agricoles doit être une priorité» clame-t-il, et cette prise de conscience devrait prévaloir sur ce projet de LGV.
Il cite Albert Camus :
« Celui qui désespère des événements est un lâche et celui qui a foi en l’être humain est un fou », même s’il incite à ne pas céder au fatalisme.
« Pourtant, scande-il, il faut prendre en considération cette réalité : Tous les projets seront caduques si on ne prend pas en compte le sujet climatique ».
Nicolas Hulot veut une république faite de solidarité, de diversité, de dignité, d’humanité, de sobriété et surtout de vérité car le réchauffement climatique est l’ultime injustice : les pays pauvres sont les plus frappés alors qu’ils n’y ont pratiquement pas contribué.
Même s’il s’est réjouit de la COP 21 puisque pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, 196 chefs d’état s’y sont réunis, il déplore le fait que le texte qu’ils ont signé est au final trop peu contraignant.
Une chose est sûre : pour tenir leur engagement climatique de 2 degrés, voire 1,5 degré, les gouvernements doivent renoncer volontairement à exploiter les 2/3 d’énergie fossile que nous avons sous les pieds. En seront-ils capable ?
Il faut savoir que 5 000 milliards d’euros de subvention sont versés chaque année par les gouvernements pour les énergies fossiles, soit l’équivalent de près de 10 millions d’euros par minute, chaque jour, selon les estimations du Fonds Monétaire International. Contre 256 milliards d’euros pour les énergies renouvelables, soit 20 fois moins. Si l’on faisait basculer cette subvention sur les énergies renouvelables, les progrès seraient énormes.
Il faut aussi fixer ce fameux prix au carbone. Ce serait la clé de l’évolution, la clé pour que les pays émergents puissent accéder aux énergies renouvelables. Sinon elles sont trop chères pour eux. Grâce au basculement des subventions et à la taxe carbone, il sera possible d’en reverser une grande partie aux pays du sud pour la restauration de leurs forêts, des mangroves et des zones humides.
« Quand on sait que la commande publique dans le monde s’élève entre 30 et 40 % de la production et de la construction, poursuit-il, il est possible d’influer pour que le bas carbone soit privilégié. Il ne faut pas non plus baisser la garde sur les réhabilitations de tous les éco-systèmes. C’est une volonté politique »
Il cite aussi Edgar Morin :
« Nous sommes techniquement triomphants, mais culturellement défaillants ».
Depuis la seconde guerre mondiale, les conflits sont tous plus ou moins liés à l’approvisionnement en énergie fossile. Si demain on n’a plus besoin de ces énergies détenues par quelques puissances, si les pays produisent leur propre énergie renouvelable, il y aura un rétablissement de l’équité, des équilibres des forces et un retour de la paix.
C’est donc un nouveau modèle économique qui est à construire. Il faut s’ouvrir au changement et arrêter de croire en cette société de consommation croissante éternellement !
Tonnerre d’applaudissements pour Nicolas Hulot. La salle se lève. Il faut dire que son discours, certes bien rodé, est clair, lucide et efficace. On sent l’homme qui a bourlingué, qui s’est frotté à un monde politique imperturbablement guidé par des intérêts qui dépassent l’entendement, on sent la sincérité, la volonté mais parfois aussi, comme en filigrane, la lassitude.
La présentation des conférenciers
Stéphane Latxague, Président de Surfrider Foundation Europe, rappelle le thème de la première édition d’Ocean Climax, qui fêtait la présence des océans, pour la première fois, à la COP 21 et sa reconnaissance dans les accords… d’où le nom du Festival.
Pour cette deuxième édition, le thème est bien la question de la sortie des énergies fossiles.
Pourquoi est-il absurde et irresponsable de rester dans les énergies fossiles puisque des alternatives existent ?
C’est la question à laquelle les conférenciers vont tenter de répondre durant le festival.
Matthieu Auzanneau, ancien journaliste et membre du Conseil Economique et Social, auteur du livre « Or noir, la grande histoire du pétrole », affirme qu’on doit sortir de gré ou de force de l’économie fossile.
« Une croissance infinie dans un monde fini n’est de fait pas possible. Si on y croit, soit on est fou, soit on est économiste ».
D’où son slogan « 2 degrés ou 2 force »
En France on vante la baisse de nos émissions de carbone, mais c’est essentiellement dû au fait de la délocalisation de nos industries et de la fabrication. Ainsi à cause du pétrole, non seulement nous polluons mais en plus nous créons du chômage.
Durant les 30 glorieuses (1950 à 1970), il y a eu une explosion de l’activité humaine. Mais les deux chocs pétroliers nous montrent les premiers signes des limites de la production du pétrole. Les réserves déclinent beaucoup car depuis les années 80 nous le consommons plus vite que nous le découvrons.
Pour inverser la courbe de la consommation, il faudrait changer dès maintenant, mais nous en sommes loin.
Acculés à cette évidence, au lieu de nous tourner vers les énergies renouvelables, nous allons chercher le pétrole de plus en plus loin, de plus en plus profond et même jusqu’en Arctique.
Il faut d’urgence prendre en compte les limites de la croissance : tourner le dos à l’avidité est la solution.
Olivier Gourbinot, Membre du directoire du réseau juridique de FNE, travaille sur le « Code Minier ».
« Ce code minier », dit-il, « qui rassemble les règles régissant l’exploitation du sous-sol, a une absence complète de transparence. Quand on ouvre une mine d’hydrocarbure on impacte automatiquement les gaz à effet de serre. Et pourtant quand on ouvre une mine, on ne se pose jamais le problème dans ce sens ».
En France par exemple, des recherches sont faites dans le quart Nord-Est dans l’espoir de trouver du gaz de houille. Pour le moment l’extraction par fractionnement hydraulique est interdite en France, mais le code minier autorisant la recherche sans parler de l’exploitation… tous les « espoirs » sont donc permis.
En ce qui concerne l’extraction off shore, on considère les eaux conventionnelles entre 0 et 400 m de profondeur et les eaux non conventionnelles au-delà de 400 m. Il y a aujourd’hui 10 000 puits en eaux non conventionnelles dans le monde et il y a eu 15 accidents majeurs depuis 1970 car, à cause de la profondeur, les conditions d’extraction sont délicates.
Les plate-formes en eaux non conventionnelles ne peuvent être fixées au sol. Elles sont maintenues à leur place par des moteurs qui marchent 24/24 h afin de respecter l’alignement entre le tuyau, qui peut mesurer plus de 2 kilomètres, et le trou creusé pour qu’il n’y ait pas de fuite. Une telle plate-forme a un coût de 1 million de dollars par jour, d’où un challenge de rentabilité rapide qui peut être la cause d’accidents.
« Tous ceux qui ont voulu réformer le code minier ont été éjectés, s’insurge Olivier Gourbinot. Depuis Ségolène Royal il n’en est plus question. On ne veut pas de la réforme car, dans l’état actuel si on cherche et qu’on trouve, on peut exploiter comme on veut et gagner beaucoup d’argent. »
En Guyane par exemple, les spécialistes espèrent trouver de quoi pourvoir 20 % de la consommation française pendant 20 ans. Mais il faut savoir que pour la catastrophe dans le golfe du Mexique il a fallu 600 km de barrages flottants alors que la Guyane en a 200 km. France Nature environnement est contre l’ouverture de cette nouvelle mine. Consciente du danger, elle veut la réforme du code, mais les appétences sont grandes et il n’y a pas de projet politique. Pourquoi ne pas réinvestir les bénéfices des entreprises pétrolières sur les énergies renouvelables, propose-t-il en conclusion…
Une volonté politique alternative indispensable
Maxime Comtes est économiste, membre d’ATTAC France. Dans son livre « Sortir des énergies fossiles », il déverrouille et démine les conditions de la transition finance/économie.
D’entrée de jeu, il porte une accusation hélas plus que réaliste :
« Personne n’apprend aux étudiants en économie à travailler et réfléchir à partir de la condition essentielle qui est de rester en deçà de ces 2 degrés ».
Lors des accords de Paris l’énergie fossile n’a pu être remise en question. On donne 1 dollar aux énergies renouvelables contre plus de 4 dollars aux énergies fossiles, même si cela change un peu en ce moment grâce à la chute du prix du baril de pétrole. Mais il ne faut pas se leurrer, si le prix du baril remonte, Total, BP, Epson… réinvestiront à fond dans les énergies fossiles.
Avec certitude, il dit qu’il faut aller encore plus loin que la taxe carbone : il faut une fiscalité écologique, la taxe carbone ne suffit pas. Il faut une vraie volonté politique.
Il existe un capital sur que les politiques semblent ignorer mais qui est un capital essentiel : l’humain. L’investissement des uns et des autres émerge (Cf le film Demain). La transition écologie et sociale doit investir dans l’humain. Il faut favoriser les initiatives humaines. Mais les élus, les candidats ne veulent pas en entendre parler. Ils prônent un investissement dans le fonctionnement et non un investissement dans le partage.
Il faut une politique alternative. Les collectivités territoriales devraient prendre leur 30 à 40 % de marchés publics pour investir dans des actions alternatives et ainsi montrer l’exemple. Mais les accords du TAFTA et du CETA qui doivent être signés prochainement vont bloquer tout ça.
Ce sont des principes qui doivent prévaloir sur ce qui existe à l’heure actuelle. Il constate toutefois avec effroi et tristesse qu’il est difficile d’influencer les politiques. Il faut pourtant se focaliser sur les idées de la société civile. Les politiques ont besoin de la jeunesse et de sortir des cadres établis.
Il faut avoir en tête qu’1 point supplémentaire du PIB correspond à 0.7 degré en plus de gaz à effet de serre et donc arrêter avec cette idée de croissance infinie. Nous sommes dans un monde fini, donc il est stupide de continuer à croire à cette idée et de faire évoluer le monde dans ce sens.
De la désobéissance civile
Nicolas Hulot, remonté sur scène pour signifier son accord total avec ce qui vient de se dire, avoue être parfois accablé par les difficultés et par le fait de toujours devoir redire les mêmes choses. Il constate un grand conservatisme en France où l’on est souvent plus prompt à la révolte qu’à la réforme. Mais il affirme que si l’on suit le déroulement qui est le nôtre en ce moment, il n’y aura pas de dénouement heureux. Seul agir ensemble, peut inverser la situation.
En conclusion et comme exemple d’initiative humaine, Txetx Etcheverry du mouvement Break Free (Libérons-nous des énergies fossiles) vient parler de son action. De la même façon que les militants de l’anti-LGV, il prône la désobéissance civile pour essayer de réveiller la conscience des politiques et des citoyens.
« La sortie des énergies fossiles, c’est même François Hollande lui-même qui l’encourage, tonne-il, révolté. Dans son discours en 2015 à l’Agence Internationale de l’Energie, il a dit que pour limiter la baisse à 2 degrés, il faut impérativement laisser 2/3 à 80 % des énergies fossiles déjà découvertes dans le sol ».
Pourtant, seulement quelques mois après la signature de la COP 21, les principaux opérateurs et entreprises pétrolières se sont réunis à Pau pour un sommet afin de réfléchir à la question : Comment faire redevenir rentables les énergies pétrolières dans le contexte d’une chute du prix du pétrole ? A l’ordre du jour, pas un mot sur la reconversion industrielle, pas un mot sur le climat et la COP 21, comme si celle-ci n’avait pas eu lieu. Inacceptable, sur le plan climatique d’abord, mais aussi sur le plan démocratique.
En bloquant l’accès au congrès, Txetx Etcheverry et son millier de militants ont voulu faire en sorte que les accords de Paris ne restent pas vains. Et pourtant ils sont fait refouler violemment par les policiers.
« Dans 30 ans, quand les gens verront comment nous avons été traités par la police et les autorités alors que nous luttions pour sauver la planète. Ils se diront que le pays était gouverné par des fous ! »
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