En amont de l’Euro de football organisé en France (juin-juillet 2016), je cherche, fin 2015, un moyen de vivre cet événement de l’intérieur. C’est alors que je tombe sur une annonce appelant au bénévolat : » plus on aide foot, plus on rit « . J’aime l’humour et les jeux de mots bien sentis, alors je postule. Un entretien d’embauche plus tard, je suis intégré dans le dispositif des volontaires. J’évolue dans une Fan Zone, celle de Lille, ma ville natale avant que je ne devienne bordelais.
Lille, premier semestre 2016. Avant le début des festivités, plusieurs thématiques sont abordées pendant les formations obligatoires, dispensées par la métropole européenne de Lille. A cet égard, un haut gradé de la police locale nous invite à ne « pas avoir peur » malgré un « risque bien présent ». Ambiance !
Ces formations sont l’occasion d’une première rencontre entre les volontaires. Les bénévoles ont entre 18 et 65 ans et balayent un éventail social assez large : homme/femme, professionnel de l’événementiel, cadre, étudiant, chômeur. Nous sommes dans une démarche d’action publique assez classique : on mobilise les jeunes – » les forces vives » – tout en créant du lien social pour tout le monde, et notamment pour les plus âgés. Comme pour cet homme, ne pouvant cacher sa fierté lorsqu’il m’explique avoir averti sa femme de sa future discrétion durant le mois de juin:
« de toute façon je lui ai dit qu’on ne se reverrait qu’au milieu du mois de juillet ».
Voici une des premières vertus de l’Euro : bousculer un quotidien huilé.
Si le centre névralgique des festivités est la Fan Zone, les bénévoles sont dispersés aux quatre coins de la ville. Rien n’est laissé au hasard, les supporters étrangers sont accompagnés durant chaque étape de leur séjour, de l’aéroport au stade, en passant par l’hôtel.
A part une journée dans le métro et une soirée en Fan Embassy (point de renseignement situé en centre ville), je n’évolue qu’en Fan Zone. La composition de cette dernière est simple. On y retrouve des stands publicitaires, un petit terrain de foot, un écran géant et des points de restauration. En son sein, je peux profiter de l’ambiance en me mêlant aux supporter étrangers. Quand l’un de mes managers insiste pour que je dirige les fans vers les points de ventes chapeautés par nos sponsors, je comprends une autre dimension de ma mission. Je ne suis pas qu’un simple bénévole, employé par une collectivité publique. Il est également de bon ton que j’incite les visiteurs à profiter des installations offertes (ou presque : 8 € la pinte!) par nos sponsors.
Tout est fait pour nourrir notre envie, nous les volontaires, de faire vivre cet Euro. Nous disposons d’une tente de repos à accès privatif. Y sont disposés un baby-foot, des tables de ping-pong, un téléviseur retransmettant les matchs ainsi qu’un réfrigérateur avec boissons all inclusive. Il règne une atmosphère de start-up, ça facilite les rencontres et, de ce fait, fluidifie notre action.
Quand nous ne profitons pas de ces installations, nous déambulons en Fan Zone, par petit groupe. Un jour, un bénévole « prévention & santé » demande la localisation de son stand, où « sont distribuées des capotes ». Nous lui indiquons sa destination avant qu’un collègue à la barbe grisonnante n’hurle, hilare :
« je déteste la viande sous cellophane ! ».
J’aime les métaphores imagées, alors je souris.
Les supporter étrangers font et défont l’ambiance de la Fan Zone. La géopolitique n’étant jamais très éloignée du sport, l’hymne national russe est l’occasion pour les quelques ukrainiens présents de proposer leurs plus beaux doigts d’honneur sur fond de
« Poutine Bullshit!«
Les britanniques me laisseront un souvenir marquant. Il y a ces fans gallois, déguisés en joueurs de baby-foot. J’ai une pensée émue pour l’homme réduit au rôle du ballon durant une après-midi entière. Je vois aussi des anglais chanter et danser sur le récurrent « Please don’t take me home » pendant 1h30, devant Islande-Portugal.
Nous sommes un mardi soir pluvieux, la fan zone n’est remplie qu’à environ 30 %. Malgré une atmosphère de fin de kermesse, l’ambiance est magnifiée par l’humeur joyeuse et le pragmatisme permanent des fans anglophones. Comme cet autre jour où un Irlandais me demande s’il obtiendra son Shuttle (Tunnel sous la manche), situé à 140 km du stade. Le départ est prévu à 23h30, il est déjà trop tard. Je le préviens qu’il n’y sera jamais à temps. Il sourit, puis relativise.
« No problem, I’ll sleep in my car »
Organiser un temps récréatif est un moyen pour le pouvoir politique en place de laisser les tensions s’évacuer positivement, dans un désordre organisé.
Pour Max Weber, la fête est « cet instant où la vague des émotions renverse la digue de la raison ».
L’Euro est une opportunité idéale pour rassembler les citoyens autour d’une passion commune. Malgré une actualité douloureuse, une compétition sportive majeure tend à adoucir le débat public par ses problématiques légères, et de relancer une économie du tourisme fragilisée.
Après le premier soir de compétition, je quitte mon poste en même temps que les supporters. Le moment est idéal pour profiter d’une petite-frite/saucisse, plat idoine en ces temps sportifs. Je croise deux albanais au comptoir de la brasserie. Ils vivent au Canada, me parlent de leur fierté d’assister aux premiers matchs de leur nation au sein d’une grande compétition de football. Ils se mettent en quête d’un hôtel, après un ultime regard désolé envers les fan anglais, bien plus expressifs que mes interlocuteurs en provenance de Montréal.
5 euros plus tard, j’ai les mains grasses mais je suis comblé. Pas autant que le patron de l’établissement qui me confesse, ému :
« je n’ai jamais autant travaillé que ce soir ».
Et ce n’était que le début.
Lucas Rougerie / Twitter: lucasrougerie
Crédits photos et vidéo: Métropole Européenne de Lille
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