Que vous circuliez sur le quai des Chartrons en marchant ou en courant, à vélo, en skate ou en trottinette, vous n’avez pas pu manquer d’apercevoir le magnifique graff qui orne le bâtiment technique de la mairie, juste en face du cours de la Martinique.
La silhouette d’un bateau, genre paquebot, sous laquelle nage une énorme baleine à bosse. Une scène préfigurant ce qui va arriver et que l’on n’a pas de mal à imaginer. Et une signature, celle d’ A-MO, le street artist bordelais dont j’adore les animaux sauvages, représentés via une technique très personnelle, consistant à peindre en superposant des tags (signatures stylisées). Ces tags, réalisés principalement à la bombe de peinture ou au marqueur, se chevauchant comme les couches de peinture à l’huile d’un « tableau classique ». L’artiste appelle cela « le Paintag ».
Or si on pourrait croire que la représentation est symbolique, comme personnellement je l’ai pensé, il n’en est rien. La fresque évoque bien un naufrage qui a eu lieu en 1920. Celui de l’Afrique indiqué dans la signature, qui résume en peu de mots l’issue fatale du navire :
L’AFRIQUE – Naufrage du Titanic français –
À son bord, 568 vies dont 178 tirailleurs sénégalais qui rentraient chez eux après leur participation à la Première Guerre mondiale. Un épisode de l’histoire, dont peu, à Bordeaux ou ailleurs, ont entendu parler, moi la première, et pour cause, il a été complètement occulté par les autorités de l’époque, pour finir dans les oubliettes.
Grâce à la démarche de Karfa Dialo fondateur-directeur de l’association Mémoires & Partages, il a été exhumé.
En voici le récit.
L’Afrique ou l’histoire d’une tragédie
Le 12 janvier 1920, environ 570 personnes périrent noyées au large des côtes françaises dans le naufrage de « l’Afrique« . Parmi les victimes à bord du paquebot, des militaires, des missionnaires, des fonctionnaires, des aventuriers en quête d’une autre vie au lendemain de la Première Guerre mondiale, mais aussi près de 200 tirailleurs sénégalais ayant quitté les quais des Chartrons pour rejoindre Dakar et les comptoirs coloniaux français en Afrique.
Cet accident est la plus grande catastrophe maritime française par le nombre de victimes, mais dont la nouvelle a été peu médiatisée à cause de l’élection présidentielle ayant lieu le même mois.
Un mémorial pour réhabiliter les tirailleurs sénégalais oubliés
A l’occasion, en 2018, du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, Karfa Diallo monte une exposition intitulée Le Mémorial des Tirailleurs naufragés qui reçoit le label Mission du Centenaire 14-18. Cette exposition s’inscrivait dans une campagne demandant que les 178 tirailleurs noyés pendant le naufrage soient « reconnus morts pour la France » après leur sacrifice dans l’armée coloniale, et alors qu’ils regagnaient leurs foyers.
Karfa Diallo parle de « quadruple peine » pour ces soldats :
« Ils sont dans une situation coloniale, sont réquisitionnés pour une guerre très loin de chez eux, sont naufragés dans cette catastrophe maritime, puis sont oubliés comme victimes ».
Grâce à son engagement sans faille, au talent d’A-MO et à la ville de Bordeaux, depuis le 12 janvier 2020, même si c’est 100 ans après, ils ne le seront plus.
Et à la question de savoir pourquoi une baleine ?… la réponse est parce qu’elle faire référence à un roman « Le chant noir des baleines » qui s’inspire de ce naufrage et de son contexte historique.
Plus d’infos
Pour en savoir d’avantage sur ce triste épisode exclu des livres d’Histoire et qui n’aura donné lieu à aucun film Hollywoodien avec tube musical à la clef, je vous invite à lire cet article très complet dans l’encyclopédie Wikipédia.
Une chronique magnifique à la narration voyageuse. Des profondeurs de l’océan s’éveille un passé douloureux celui de l’Afrique partit pour un voyage sans retour. L’odyssée de ce navire perdu, A-MO nous en laisse un témoignage émouvant celui d’une fresque talentueuse et poétique.
La plume d’Isabelle , l engagement de Karfa Dialo et tout le talent du Street artist A-MO redonne aux tirailleurs sénégalais enfants oubliés de la république toute leur dignité.
Je reste silencieux, pensif et je me mets a rêver de cette baleine accompagnant pour l’éternité ce navire que fut l’Afrique.
Merci pour ton commentaire Éric ! Il est vraiment très beau !
570 victimes oubliées de l’histoire, c’est déjà terrible. La quadruple peine, comme le dit Karfa Diallo, de 178 tirailleurs sénégalais sonne comme une insupportable et cruelle provocation du destin qui se moque bien de justice.
Merci Isabelle pour cet article, je ne manquerai pas de chercher la baleine d’ A-MO lorsque je serai à Bordeaux et de saluer les âmes que son chant peut-être console. Envie aussi de lire Le chant noir des baleines, de Nicolas Michel.
Un épisode historique très peu mentionné, voire jamais. Je n’avais pas entendu parler du paquebot « Afrique » avant de lire cet article, qui est de ce fait vraiment intéressant (et toujours aussi bien écrit évidemment ! ).
C’est un très bel hommage qui nous permet de garder en mémoire le sacrifice de ces nombreux hommes mais également la peine pour l’ensemble des victimes du naufrage.