Lundi 29 novembre 2021, 10h30, CGR Bordeaux Le Français. Je suis toute seule, confortablement installée dans un fauteuil d’une des douze salles du cinéma, où, rien que pour moi, dans le cadre d’une projection presse privée, je vais visionner PRESQUE, le film de Bernard Campan et Alexandre Jollien dont la sortie est prévue le 26 janvier 2022.
Séance de rattrapage, puisque je n’avais pu assister comme prévu à la précédente organisée une semaine auparavant. Ce qui tombait plutôt bien, je serai encore immergée dans l’histoire pour la conférence de presse organisée, le soir même, avec l’équipe du tournage venue à Bordeaux pour répondre quelques heures après notre rencontre, aux questions de la salle à l’issue d’une avant-première publique.
Occasion pour la fan inconditionnelle de l’ex-Inconnu qui, avec ses deux comparses ont immortalisé toutes les Isabelle aux yeux bleus de France et de Navarre, et grande admiratrice de l’écrivain philosophe que je suis (duo inattendu et raison de ma présence dans cette salle obscure) de leur dire combien, 1h 31 mn plus tard, le résultat de leur collaboration m’aura cueillie !
Et comment, dans les lignes qui suivent, je vais vous expliquer pourquoi il faut absolument aller voir ce feel good road moovie qui parle de mort, de handicap, de philosophie, de liberté intérieure, de respect et d’amitié autrement.
Et combien aussi, je suis fière qu’il enrichisse la nouvelle rubrique Tasse de thé culturelle de Jugeote.
Bernard Campan et Alexandre Jollien, un tandem connecté dans la vie comme à l’écran
PRESQUE, c’est l’histoire de deux paumés, l’un valide, l’autre IMC (infirmité motrice cérébrale) qui cheminent step by step vers la joie inconditionnelle. La joie des petits riens qui font des grands touts. La joie malgré le chaos, la souffrance ou la différence.
Louis, 58 ans, est directeur d’une société de pompes funèbres à Lausanne, ou dit autrement, il est croque-mort. Grillé de l’intérieur, il a fini par vivre en mode pilotage automatique, il s’est blindé par peur de trop souffrir. Alors que pour le commun des mortels la mort est de loin le plus grand des maux, puisqu’elle met un terme à tous les plaisirs de la vie et nous expose à la perte des êtres qui nous sont les plus chers, elle semble n’être absolument rien pour le croque-mort.
Pour Louis, en effet, qui a repris l’entreprise de pompes funèbres de ses parents, la mort lui est indifférente. Habitué à la côtoyer quotidiennement et à vivre en sa présence, il a appris à ne plus y prêter attention. Ce qui n’est pas le cas de la culpabilité qui le ronge…
Igor, 40 ans, atteint d’une infirmité motrice cérébrale de naissance, livre pour gagner sa vie, des paniers de légumes bio sur son tricycle, un casque audio orange vissé sur les oreilles (la bike addict que je suis, je l’avoue, a frémi).
Il erre en marge de la société. Sa bouée c’est la philosophie qu’il applique tant bien que mal pour tenter, en vain, de sauver sa peau. Car le reste de son temps, il le passe dans les livres, à l’écart d’un monde dont on connait la difficulté à accepter les différences, avec ses compagnons de route : Socrate, Nietzsche et Spinoza.
Contrairement à Louis pour qui la mort n’est rien, Igor la redoute plus que tout. Toutefois, loin de se laisser submerger par sa peur, il s’efforce sans cesse de la surmonter. A l’instar de Socrate qui la veille de sa mort disait à ses disciples que « philosopher c’est apprendre à mourir », Igor voudrait bien trouver un moyen d’ « apprendre à mourir », c’est-à-dire un moyen qui lui permette de laisser derrière lui sa peur, et plus globalement la souffrance que lui inflige au quotidien son corps.
Par un hasard qui on le sait n’existe pas, les chemins de Louis et d’Igor se croisent. Et par un concours de circonstance que je ne vous révélerai pas, Louis accepte d’emmener Igor avec lui lors d’une « livraison ». Ils partent tous deux en corbillard conduire la dépouille d’une vieille dame, Madeleine, au pied des Cévennes.
On ne naît pas homme, on le devient
À travers ce road movie égrainé de rencontres, le film retrace le périple de deux êtres différents (tout en se ressemblant) qui, au fil du récit vont devenir amis. Une quête de liberté qui, toute en finesse, humour et délicatesse, aborde le thème du handicap et du mieux vivre-ensemble, sur fond d’affranchissement du regard des autres et, graal de toute vie réussie… d’acceptation de soi.
Oui, oui tout un programme où, en permanence les larmes aux yeux, non pas de tristesse, mais d’émotion et de tendresse, j’ai ri, souri, vibré grâce à Alexandre Jollien qui m’a touchée au coeur (je précise que tous les autres comédiens sont excellents).
Car, là, ce n’est pas un Dustin Hoffman dans Rain Man qui joue un autiste, ou un François Cluzet en tétraplégique dans Intouchables, voire un Daniel Day Lewis qui poussa le curseur très loin dans My Left Foot pour incarner l’artiste irlandais Christy Brown atteint de paralysie spasmodique, mais un interprète qui a passé 17 ans en institution spécialisée, avant de rencontrer celle qui allait lui sauver la vie et dont il fera un mode de vie… la philosophie.
Un jeu et un scénario dès lors nourris de son vécu, de son état et de son expérience, qui valident le fait que ce n’est pas du pipeau lorsqu’ Igor déclare, pour ne citer que ces quelques perles :
« C’est au coeur de la vie, au sein du chaos avec les autres, qu’il s’agit de grandir et de quitter boulets et fardeaux »
Ou encore :
« Quand tu te lèves, attends-toi à croiser un casse-pied, un grincheux, un importun et tu n’en seras que plus libre ».
L’ITW exclusive de Jugeote avec Bernard Campan et Alexandre Jollien, point d’orgue d’une journée qui restera gravée dans ma mémoire
Bernard Campan et Alexandre Jollien, que j’aurai pour moi toute seule le temps d’une interview (cette journée restera vraiment gravée dans ma mémoire), juste après celle de Guillaume, animateur radio sur Gold FM, se sont prêtés à l’exercice avec une simplicité et une gentillesse confondantes.
J’apprendrai ainsi qu’ils sont amis pour de vrai depuis 18 ans. Que dans ce film dont la maturation date depuis presque autant que leur amitié dont il est un prolongement, sans être un copié-collé de sa vie, il y a beaucoup d’Alexandre dans Igor.
Mais peut-être avant d’aller plus loin, serait-il utile de vous les présenter en quelques lignes pour ceux qui n’ont pas la chance de les connaitre et pour mieux comprendre, outre l’impact du film, l’état dans lequel j’étais.
Deux hommes qui font du bien au moral
Bernard Campan s’est fait connaître dans les années 90 (mes années FNAC où j’étais responsable du rayon vidéo) pour ses rôles comiques avec les Inconnus, Didier Bourdon et Pascal Légitimus. Or vous, je ne sais pas, mais pour ma fille et mon fils de 35 et 32 ans et moi-même, fans de leurs sketchs dont nous connaissons par coeur l’intégrale, et de leurs films, Les 3 Frères et Le Pari, les Inconnus font partie de la mémoire collective familiale.
Même Steve (40 ans tout rond), l’auteur des photos de l’ITW qui m’accompagnait, assurera à Bernard Campan, à quel point il faisait partie de nos vies. Je rajouterai de notre ADN !
Je peux donc vous certifier que les images et les souvenirs que j’avais de lui se bousculaient dans ma tête, tandis que je l’écoutais, prenais des notes et tenais son bras le temps d’une séance photo où je me disais… si Margaux et Dimitri me voyaaaaaient !
Il quittera ce registre en 2001 avec son interprétation dans Se souvenir des belles choses de Zabou Breitman. S’ensuivront plusieurs succès, dont Le Cœur des hommes de Marc Esposito (2003) ou Combien tu m’aimes ? de Bertrand Blier (2005). Autant de longs métrages où il saura parfaitement cultiver le contre-emploi et s’investir, comme dans une seconde vie, dans des films existentiels.
Alexandre Jollien, qui vient de fêter ses 46 ans et à qui nous souhaitons un bon anniversaire, est un philosophe suisse, auteur de : Éloge de la faiblesse (2000) et Le Métier d’homme (2002) qui explorent sa lutte contre les idées reçues sur le handicap. La Construction de soi (2006) est une longue interrogation sur notre incapacité à profiter du présent. Des titres auxquels il faut rajouter : Le Philosophe nu (2010). Petit traité de l’abandon (2012). Vivre sans pourquoi. Itinéraire spirituel d’un philosophe en Corée (2015) que je vais m’empresser de me procurer…
Et son dernier ouvrage La Sagesse espiègle (2018) qui s’attèle à un grand chantier de l’existence : les passions, l’attachement, la dépendance. Et propose une feuille de route pour un art de vivre allègre, un gai savoir qui permette de danser au milieu du chaos, en plein tragique…
Ma fille aînée Margaux, quand je lui raconterai, encore brassée et des étoiles dans les yeux, mon lundi, me rappellera combien les livres d’Alexandre Jollien l’avaient aidée et accompagnée quand elle avait 20 ans.
Et il n’est que de voir sa popularité auprès d’un public conquis par sa limpidité, sa gentillesse et son positivisme en dépit de tout ce qui, depuis sa naissance l’a accablé, pour comprendre pourquoi il est aujourd’hui, avec ses potes, Matthieu Ricard et Christophe André, un maître à penser en quête de sagesse parmi les plus lus ou écoutés.
Waouh ! un peu de silence, un peu de temps et de la réflexion afin que mon coeur s’assagisse et ralentisse tant cet article l’a fait battre. Une plume enchanteresse pour un voyage enchanteur, Ceci est un conte dans lequel nous pouvons toucher au plus près les sentiments d’Isabelle pour ce film humaniste et généreux dont cette présentation ne peut qu’inciter à découvrir avec envie.
Merci de nous faire partager ta journée qui nous fait vibrer tant la mise en écriture est belle, merci à Bernard Campan dont la carrière a jalonné notre adolescence et qui nous accompagne encore de ses merveilleuses comédies,
Cet avec intérêt que je fais la connaissance d’Alexandre Jollien mais tout connaitre serait bien ennuyeux et Jugeote est là pour nous le rappeler ( et nous faire réfléchir ).
Une chronique pour toucher notre coeur touché mais certainement pas coulé car le 26 Janvier je serai sur le pont pour voir PRESQUE.
Woaow ! Quel commentaire ! Merci Eric ! Je suis archi sûre que tu vas adorer ce film ! Tu devrais lire aussi Alexandre Jollien ! Il est d’une très grande aide dans ce chaos ambiante
Superbe article, toujours une plume qui touche juste, et des yeux qui regardent avec le cœur… j’ai très hâte de voir ce film afin de découvrir Alexandre que j’ai eu plaisir à découvrir à travers ses écrits avec Matthieu Ricard et Christophe André !
Cela va nous inviter à remettre notre attention dans le réel et à porter notre bienveillance à tous les humains… et sortir des faux mondes dans lesquels nous naviguons parfois et qui nous font perdre de vue l’essentiel
Merci pour ton beau retour si juste, Anne !