Une femme sur 10 est concernée par l’endométriose, cette maladie gynécologique chronique que l’on connait peu ou mal et qui provoque des douleurs insoutenables au quotidien. Car oui, cette souffrance ne se manifeste pas que pendant les règles !
Depuis plusieurs années, de nombreuses femmes se mobilisent pour faire connaître cette maladie que l’on qualifie souvent de “cancer dont on ne meurt pas”.
Parmi elles, Nadia Russell Kissoon, créatrice de la « Tinbox art galerie mobile », directrice de « l’Agence créative » et à l’initiative de l’exposition « Ouroboros », un projet artistique autour de l’endométriose dont elle est elle-même atteinte et dont nous allons tout vous expliquer, parce ce qu’il est vraiment temps de parler de ce qui, dans tous les cas, est un véritable handicap invisible et un vrai sujet pour notre rubrique Ovaires the Rainbow.
Nadia Russell Kissoon, une passionnée d’art qui a fait de l’endométriose son combat
Sa mère, Chantal Russell Le Roux, étant artiste peintre et son père, Jeffery Kissoon, comédien, Nadia a depuis petite été sensible au monde de l’art. La preuve, titulaire d’une maîtrise en Arts-Plastiques de l’Université Michel de Montaigne à Bordeaux, elle a également étudié l’Histoire de l’art contemporaine américaine à l’Université de Berkeley en Californie dans le cadre d’un Summer course intitulé « Expanding the Museum » (Sortir du Musée), qui lui a permis d’étudier comment, dans les années 60, les artistes ont commencé à investir l’espace public.
Elle a également suivi une formation de « Conservation, diffusion et gestion de l’art contemporain» à l’Université Paul Valéry à Montpellier. Son cursus pluriel influence aujourd’hui son travail puisque ces 3 pôles : création plastique, commissariat d’exposition et direction artistique qu’elle a suivis en formation se retrouvent dans son projet.
Créatrice de Tinbox Contempory Art Gallery
Tinbox est né en 2007 à une époque où elle était professeure d’anglais et d’art plastique depuis 9 ans dans une école expérimentale où les enfants étaient déscolarisés pour des raisons multiples. Si elle adorait son métier, elle gardait en elle une frustration, celle de ne pas se tourner vers son premier amour : l’art. Et plus particulièrement son désir de monter une galerie.
Mais sans argent et sans lieu, comment faire ?
Un jour, un peu comme une blague, elle a décidé de créer une œuvre qui serait une galerie d’art sous la forme d’une boîte reprenant les codes du “White Cub” et l’identité en termes de communication d’une galerie (créer un site internet, des notices d’exposition, cartons d’invitation).
C’est comme ça que la première Tinbox est née : une structure architectonique en bois qui au départ ne mesurait que 100cmx200cmx200cm, une toute petite boîte ! Elle invitait des artistes et faisait du commissariat d’exposition.
Pour l’anecdote, son appellation fait l’objet d’une double signification. Tinbox, étant la contraction de “Tiny Box” mais également la définition de boîte de conserve en anglais, à l’image de toutes ces œuvres d’art qui se retrouvent dans les réserves des musées et qui sont placées dans des grosses boîtes.
Ce projet initial vient dresser une critique d’un système de légitimation des artistes, de ce « White Cub » qui prône l’entre-soi.
“Je vais ouvrir une galerie d’art, mais qui va venir dans cette galerie si ce n’est les gens de l’art qui viennent voir les gens de l’art ou les habitués de l’art ?”
Ayant eu cette expérience sociale et scolaire, ce qui l’intéressait par-dessus tout dans l’art c’était la notion de rencontres et le fait de trouver un objet d’art qui serve de cheval de Troie pour infiltrer le champ de l’art hyper fermé. Son projet s’insère dans une volonté d’aller à la rencontre de la société civile et d’impliquer les individus dans les processus créatifs et culturels. Elle souhaite propager l’art dans des espaces publics très variés dédiés ou non à l’art tels que des écoles, des hôpitaux, des Ehpad et dévoiler la porosité entre l’art et la vie.
Grâce à sa toute petite Tinbox qu’elle transporte sur son dos, elle met en avant une action d’art performative et l’idée de déplacement de l’art.
“Tinbox est un lieu de création et de monstration : les artistes sont libres de l’investir comme ils le veulent”.
Aujourd’hui, il y en a 7 au total, mais 5 en activité, car il y en a une qui a fait sa vie et a été transformée en poulailler dans son jardin. Une cabane de luxe pour les poulettes ! Quant à la toute première, elle a été transformée en une sculpture par une artiste.
Deux autres seront en construction prochainement.
Pour ces dernières, Nadia s’est interrogée sur l’impact carbone de l’objet car il est en résine et peut être assez polluant. Elle a réussi à trouver un partenaire qui est un constructeur de bateaux à voile de compétition et qui ne travaille qu’avec des matériaux, certes composites, mais qui sont recyclés et recyclables. Donc derrière tout ça il y a aussi une démarche RSE et éco responsable concernant les prochaines box particulièrement intéressante.
Tinbox est un lieu de rencontre, de diffusion, de commissariat d’exposition. Mais Nadia ne veut pas s’arrêter là.
L’Agence créative, une structure qui œuvre pour la liberté d’expression artistique et affirme la place de l’artiste comme chercheur au sein de la société
En 2010, elle crée une entité : l’association de l’Agence créative qui a trois missions principales :
- la diffusion de l’art dans les espaces publics (avec les galeries Tinbox)
- la mise en oeuvre de programmes d’éducation artistique culturelle et environnementale (principalement dans les collèges et les lycées de Gironde et de Nouvelle Aquitaine) concerne tous les âges : de nombreuses actions ont été réalisées dans les Ehpad.
- Mise en œuvre de résidences de recherche et de création sur mesure : décontextualiser la pratique artistique, faire sortir l’artiste de son atelier pour qu’il se retrouve dans des contextes qui vont nourrir sa recherche : un quartier, un hôpital, une entreprise. L’objectif étant qu’il y ait une rencontre entre artistes, scientifiques, médecins afin de créer quelque chose de nouveau.
Le logo de l’Agence créative est un poulpe : une créature à 8 tentacules, 9 cerveaux, 3 cœurs et un mode de fonctionnement rhizomatique. Or ce n’est pas un hasard si l’Agence a choisi cet animal spécifique.
Au sein de l’Agence créative, il y a d’abord l’idée de sculpture sociale, c’est-à-dire le fait que l’art s’infiltre dans tous les champs de la société grâce à ses 8 tentacules qui lui permettent de s’intéresser à tous les sujets. C’est une structure en création permanente qui se renouvelle en permanence grâce à l’implication des personnes aux identités culturelles plurielles et des artistes qui sont invités à cheminer ensemble.
L’Agence créative a élaboré un nouveau projet intitulé “Il faut cultiver notre jardin” qui explore des questions écosophiques : écologie au sens environnemental, mental, politique, social qui s’élargit aussi sur la question du care (le soin à autrui). C’est un programme d’expositions curatoriales d’artistes plasticiens qui s’emparent de l’écologie comme outil de réflexion, de création et d’action. Ce projet artistique engagé, sensible, esthétique et symbolique a pour objectif de questionner la relation de l’homme à la nature sous le prisme de l’art contemporain.
Le confinement, un temps vers la reconnection de soi et la création d’Endométriose Academy
Endométriose Academy est née à l’origine d’une colère. Celle qui en est douloureusement frappée n’aurait jamais pensé au départ intégrer cette maladie à un projet artistique mêlant art et care.
Endométriose Academy est le fruit de différentes rencontres, mais s’est développée de façon plus concrète pendant le confinement.
À l’époque de la pandémie, Nadia était sous un traitement hormonal, aux effets dévastateurs, depuis 6 ans qui lui permettait de maintenir son endométriose en “dormance », mais qui l’a également totalement métamorphosée psychologiquement.
Comme elle le dit elle-même :
« Ça a transformé mon équilibre mental et mon rapport aux autres. Je n’étais plus du tout moi-même ».
Au mois de mars 2020, arrive le confinement qui met toutes les injonctions sociales à l’arrêt. Et passant de plus en plus de temps dans sa chambre, elle prend petit à petit conscience de son état : « Je me rends compte que je suis complètement hors sol de mon propre corps ».
Elle profite du temps qu’elle a pendant le confinement pour se renseigner sur l’endométriose et lire le plus possible. Parmi ces lectures, celles qui l’ont le plus marquée sont : « Endométriose et plantes » , un article de Christophe Bernard sur le blog Althea Provence, ou encore le livre du diététicien nutritionniste et spécialiste de l’endométriose, Fabien Piasco « L’alimentation anti-endométriose » et son l’interview pour le média Lyv.
Des lectures pour mieux comprendre les douleurs liées à la maladie et les appréhender, comme avec cette Interview pour le média Lyv du Dr Delphine Lhuillery, médecin de la douleur engagée.
Elle réalise qu’elle ne connaissait rien sur l’endométriose, qu’elle ne s’était jamais interrogée sur ses mécanismes. Et ce fut un électrochoc ! Depuis le début de son diagnostic, aucun médecin ne l’a renseignée ou ne lui a appris des choses qu’elle ne savait déjà. Grâce à toutes ces nouvelles ressources, Nadia a compris que les « méthodes » qui ont marché et continuent de marcher pour elle sont :
- l’hygiène de vie
- l’alimentation anti-inflammatoire (qui permet de réduire la production d’oestrogènes = cercle vicieux*)
- la micro nutrition
- les plantes progestérones-like
- la gestion du stress et la mobilité pelvienne (par le sport, le yoga, kiné, ostéo).
Grâce à ces mesures, elle est devenue asymptomatique. Cependant, il s’agit d’une hygiène de vie constante qu’elle ne peut relâcher sous peine de le payer cher par la suite.
Résultat, le 10 novembre 2020, elle arrête son traitement hormonal et se soigne uniquement par ce cocktail anti-douleur personnel.
Petite précision, Nadia n’est ni contre les traitements hormonaux, ni l’opération, elle est juste opposée aux prescriptions systématiques. Elle est pour l’information, l’éducation thérapeutique des patientes afin qu’elles apprennent à bien vivre avec leur maladie.
L’influence des écrits du philosophe Bruno Latour sur son projet autour de l’endométriose
Elle s’imprègne des écrits de Bruno Latour. Auteur de “Où atterrir? Comment s’orienter en politique », ce dernier offre un nouveau regard sur ce que nous avons l’habitude d’appeler la crise écologique. Face à la situation climatique, le philosophe propose d’inventer de nouvelles formes d’action et de faire de la politique autrement.
Dans le cadre de l’expérience artistique, scientifique et politique » Où atterrir ? » du philosophe, menée à Bordeaux par le Collectif Rivage, Nadia va mener une enquête sur “la décolonisation du corps des femmes et des personnes” car il n’y a pas que des femmes cisgenres qui ont de l’endométriose, mais également des personnes transgenres. Par décolonisation, l’artiste entendant se débarrasser de ces nodules qui viennent coloniser le corps, mais aussi décoloniser la société des constructions sociales, culturelles, mythologiques autour des femmes.
La création d’un nouveau tentacule : l’Endométriose Academy
Nadia Russell Kissoon ne pensait pas initialement mener un projet sur l’endométriose, mais c’est suite à cette expérimentation qu’elle a voulu se lancer.
Grâce à cette enquête et tout ce travail mené avec le projet “Où atterrir?”, elle a eu envie de relier ça à l’Agence créative et faire pousser un nouveau tentacule : l’Endométriose Academy.
Un nom bien choisi puisque l’Académie est une entité de savoir scientifique, littéraire, artistique, mais également un lieu extrêmement masculin. Utiliser ce terme est une manière pour elle de redonner du pouvoir d’agir aux femmes et d’écrire de nouveaux récits en alliant les arts, les sciences, la littérature, la philosophie pour venir déconstruire toute la socio discipline autour du corps des femmes.
Elle partage auprès d’Ema Eygreteau, une artiste avec qui elle avait déjà travaillé, son envie de produire en collaboration quelque chose autour de cette maladie aussi imperceptible qu’invalidante.
Voulant mener une résidence d’artistes au CHU de Bordeaux doté d’une unité Endométriose, elle demande l’autorisation de mener un projet artistique qui partirait de la récolte de la parole des femmes atteintes d’endométriose.
Géraldine Chauvin, chirurgienne et gynécologue au CHU de Bordeaux y avait justement créé le programme d’accompagnement personnalisé “F.EM.M.E.S” dont l’objectif est » de prendre soin du corps et de l’esprit » des femmes souffrant d’endométriose.
C’est le seul et unique programme en Nouvelle Aquitaine pour accueillir ces femmes dans un contexte particulier leur permettant de faire de l’activité sportive adaptée à leur pathologie, travailler la mobilité pelvienne pour détendre les adhérences et éviter le “frozen pelvis” *. Un programme qui propose également des groupes de parole, de l’hypnose, de la sophrologie et de la méditation.
Après explication du projet et de leurs travaux, Géraldine Chauvin les invite à prendre part à l’aventure.
« Ouroboros », une exposition engagée entre art et care
Tous les lundis pendant six mois, Nadia Russell Kissoon et Ema Eygreteau se rendent au CHU de Bordeaux à l’Unité fonctionnelle endométriose dans le cadre du programme «Culture & Santé» Nouvelle-Aquitaine.
Après avoir publié une annonce sur les réseaux sociaux, elles ont toutes deux rencontré, écouté et récolté la parole de femmes atteintes d’endométriose pour créer l’exposition «Ouroboros».
Ema Eygreteau travaille d’un point de vue plastique sur « La chaussée des géantes » œuvre architectonique et minérale, les dessins « In Utero » et la peinture “Humeur”.
Nadia de son côté travaille avec les mots, les paroles, l’enregistrement et l’écriture et a réalisé en collaboration avec son frère Sebastian Russell qui est musicien, l’installation sonore «Endometriosis Cycle».
Tout part d’un caillou et de cette citation de Bruno Latour “Il faut être terre à terre, s’intéresser au caillou dans la chaussure » qui fait référence à la citation du psychologue et philosophe John Dewey :
“C’est la personne qui porte la chaussure qui sait le mieux si elle fait mal et où elle fait mal, même si le cordonnier est l’expert qui est le meilleur juge pour savoir comment y remédier”.
L’exposition donne la parole aux femmes qui vivent avec une endométriose invisible et invisibilisée qui existe pourtant depuis l’antiquité et qu’on ne sait pas encore guérir au 21ème siècle.
Selon Ema Eygreteau, le caillou avec ses formes rondes pourrait représenter les kystes, les nodules qui viennent coloniser le corps de la femme. Pour les trouver, elle cherche des cailloux sur la plage. Et pas n’importe laquelle, celle de Montalivet, la plage de son enfance. Derrière, il y a une très forte symbolique : elle est nue et ramasse des cailloux qu’elle choisit avec la plus grande attention, puis rentre avec des grands sacs ultra chargés. En fin de compte, elle expérimente le poids de la maladie avec son corps. Par ailleurs, la plage est un lieu très important car il y a l’aspect du liquide et il y a aussi les marées et donc d’une certaine manière une notion de cycle. A certains moments les cailloux sont visibles et parfois ils restent cachés, à l’image des douleurs et symptômes de l’endométriose.
Cette notion du visible, de l’invisible et de l’éternel retour est très importante dans le projet. « Ouroboros » s’intéresse à ce qui fait mal et là où ça fait mal ; à ce qui revient de manière cyclique comme un serpent qui se mord la queue.
Ema Eygreteau va donc s’appuyer sur plusieurs aspects pour concevoir ses sculptures : la légèreté, l’eau, le caillou, le cycle. C’est de cette façon que son installation la Chaussée des Géantes est née mais aussi à travers des recherches. En effet, elle s’est inspirée aussi d’une plage de Basalte en Irlande qui lorsqu’une coulée de lave refroidit avec le contact de la mer, crée de manière très étrange, des sortes de colonnes dont certaines font 12 mètres de haut.
Elle a décidé de réutiliser l’image de la Chaussée des Géants en la féminisant “la Chaussée des Géantes”. Les Géantes étant toutes ces femmes qui vivent avec la maladie. Et de cette idée est née une sculpture architectonique de piédestal sur laquelle elle est venue poser les cailloux qu’elle a choisis avec attention pour leurs formes et leurs trous et qu’elle a retravaillé parfois pour révéler “la chair du caillou”, comme elle dit. C’est son imaginaire qui a opéré pour penser ce projet puisqu’elle même n’est pas atteinte de la maladie.
Nadia ajoute :
“Ces chaussées, ces colonnes, peuvent être apparentées à des êtres humains. On peut imaginer que ces colonnes placées dans la Tinbox si elles chutent, entraînent les autres par effet domino. C’est l’image d’une maladie qui nous tombe dessus et qui vient impacter non seulement la personne concernée, mais aussi son entourage, sa sphère sociale, son emploi”.
Un récit de soi
Pour Nadia Russell Kissoon, cette exposition est de l’ordre du récit de soi, une forme d’autopathographie. Elle raconte à travers la parole de femmes atteintes d’endométriose sa propre histoire avec cette conviction que «l’intime est politique».
L’installation sonore «Endometriosis cycle» exprime cette difficulté à se faire entendre et donc à être écoutée pour être soignée. Mais, de toute cette matière qui était à la fois enregistrée et écrite, Nadia se demandait quoi en faire, comment la traiter, l’organiser.
“Toutes les histoires sont intéressantes” se disait-elle. Devoir choisir parmi tous ces récits de femmes était impensable au départ. Elle voulait rendre compte de l’hétérogénéité de la maladie, car il n’y a pas une endométriose, mais autant d’endométrioses qu’il y a de femmes.
Elle a choisi certains témoignages et en a pioché d’autres au hasard. Il y a plusieurs sons : une parole nette et compréhensible et des voix qui, à l’inverse, se superposent pour donner une impression de confusion, de folie et traduire le sentiment des femmes qui ne se sentent pas écoutées, ni prises en considération au point de devenir quasiment folles.
La parole des femmes a été pendant des siècles confisquée par un système médical patriarcal qualifiant les femmes d’hystériques.
“C’est pas moi qui donne la parole aux femmes, c’est les femmes qui prennent la parole”.
Dans son oeuvre elle a voulu parler de certains sujets. Revenir sur la réponse actuelle du corps médical qui est le traitement hormonal et l’opération. Pour cela, elle a voulu donner la parole à une pluralité de profils : celles qui ne prennent pas d’hormones ou celles qui ne peuvent pas vivre sans, des femmes qui parlent de leurs effets secondaires absolument désastreux et d’autres qui vivent très bien la prise d’hormones. Des femmes qui ont échappé à l’opération ou d’autres qui estiment que l’opération leur a sauvé la vie.
Elle a voulu mettre en avant toutes ces phrases qui ont tendance à minimiser, décrédibiliser voire à nier la maladie, comme par exemple quand une jeune fille dit à sa mère qu’elle ne peut pas aller à l’école car elle a mal et qu’elle est épuisée et que sa mère lui répond : “Oh, ça va tu m’embêtes avec tes histoires de règles ! Moi aussi j’en avais, ta grand mère aussi, prend un doliprane, c’est pas grave.”
En effet, on entend généralement que les douleurs pendant les règles sont “normales”, mais à force de l’entendre, on confisque la parole à certaines femmes qui souffrent réellement jusqu’à ce qu’elles ne se sentent plus légitimes d’exprimer leur douleur.
Elle voulait aussi parler du dépassement de soi, des petites victoires de ces femmes qui à un moment donné ne pouvaient plus bouger, mais qui recommencent à courir, effectuer des pratiques sportives ou à l’inverse des femmes qui sont en incapacité de bouger à cause de la douleur.
« La douleur est telle que ça en devient neuropathique, car ton cerveau n’arrive pas à gérer tout cela. Tu n’es plus qu’une boule de douleur ».
Ces créations sonores permettent d’entendre que non, ce n’est pas juste pendant les règles que l’on a mal et que ces douleurs peuvent être liées à des hémorragies. Puis, il y a aussi la trouille de l’infertilité, la pression sociale des femmes sur la maternité, sur l’emploi, etc. Elle voulait parler de toutes ces injonctions, la doxa et de toute cette sociodicée qui est extrêmement lourde pour ces femmes.
Son objectif est que la parole arrête d’être confisquée et que l’on entende ce que les femmes ont à dire. Et s’il y a des milliers de femmes qui disent que l’alimentation anti-inflammatoire a un impact sur la maladie, il faut faire des études scientifiques pour le prouver. Il faut également qu’il y ait des études sur l’importance du sport, de la mobilité pelvienne, de la gestion du stress.
Et maintenant ?
Nadia Russell Kissoon, une patiente bientôt formatrice au parcours en soins chroniques
Nadia est très intéressée par l’écriture de nouveaux récits et se passionne de plus en plus pour la médecine narrative. Selon elle, il est essentiel de revenir au dialogue, à la relation médecin-patient qui a tendance à s’estomper dans notre système de santé hyper technicisé et qui pressurise le médecin.
Elle s’est donc inscrite cette année à la Faculté de santé pour faire un DU de « patients formateurs au parcours en soins chroniques”.
C’est la deuxième promotion et c’est le seul DU en France de cet ordre là. Il existe déjà des DU de patients partenaires ou de patients experts, mais c’est le seul dont l’objectif est de former les personnes qui vivent avec une maladie chronique à transmettre leur savoir expérientiel sur la maladie auprès de professionnels de santé pour qu’ils puissent prendre davantage en considération la parole des patient.es dans leur métier.
Le projet Ouroboros de l’Agence créative a été primé par la Fondation Des Usagers du Système de Santé. C’est une Fondation sous l’égide de la Fondation de France et tous les ans un appel à projet est lancé dont l’objectif est de placer le.a patient.e au cœur du soin. Nadia avait candidaté avec un projet fort de trois axes :
- Une résidence d’artistes
- La création d’une bibliothèque de l’endométriose où inviter des spécialistes : gynécologues, chirurgiens, nutritionnistes, philosophes, historiens de l’art, sociologues etc. à faire des propositions d’ouvrage qui peuvent être reliés, par exemple, à l’histoire du soin des femmes, à l’endométriose et peuvent nourrir les connaissances sur la maladie. Ce projet de Bibliothèques ne débutera pas avant septembre, et se fera d’abord de manière virtuelle avant de trouver un lieu précis. Une autre idée serait de faire circuler une bibliothèque mobile dans les cliniques, musées…
- Mettre en place des groupes de paroles et d’écriture.
Des projets plein la tête
Par ailleurs, Nadia aimerait beaucoup faire de l’ETP (éducation thérapeutique du patient). En attendant de poursuivre dans cette voie, elle veut mettre en place un groupe de paroles et d’écriture ainsi que du yoga adapté à la maladie. L’objectif serait de travailler avec une personne qui s’est spécialisée dans le Yoga de l’endométriose et le pratiquer aussi bien dans un musée, dans une clinique ou n’importe quel endroit. Une logique de déplacement que l’on retrouve dans ses projets artistiques.
A long terme, elle aimerait qu’Endométriose Academy devienne une entité indépendante de l’Agence créative et évolue vers une association de patient.es artistes, tous.t.es atteints d’endométriose.
Pour finir, Nadia, s’est aussi engagée dans un programme Erasmus qui inclut l’art, la médecine narrative et la question de la littératie, autrement dit l’aptitude à lire, à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie quotidienne.
Nous souhaitons bonne chance pour ses nouvelles aventures à cette engagée, mère de deux enfants, qui après 20 ans de vie commune vient tout juste de se marier avec son compagnon, et lui adressons un gros big up pour tout ce qu’elle a déjà accompli !
* Frozen pelvis (ou pelvis gelé) : correspond à la forme la plus avancée d’endométriose. Les organes internes se collent entre eux : les adhérences ou la fibrose forment des toiles entre l’abdomen, le pelvis et les organes. Les nerfs, les ligaments et les tissus se retrouvent alors emprisonnés. Cela empêche le mouvement de cette zone et peut provoquer d’importantes douleurs chroniques.
*Cercle vicieux inflammatoire : dans l’endométriose, il est très important de cerner le lien entre inflammation et production d’oestrogènes. Dans les lésions endométriosiques, la prostaglandine inflammatoire PGE2 augmente l’activité de l’aromatase qui produit des oestrogènes. Or, l’excès d’oestrogènes augmente la production de cytokines inflammatoires qui augmentent l’inflammation. Et rebelote ! –> Donc objectif de l’alimentation anti-inflammatoire = limiter la production d’oestrogènes.
Plus d’infos :
Site de l’Endométriose Academy
Compte Instragram d’Ema Eygreteau
Groupe Facebook EndoCorp’s : Endométriose, alimentation anti-inflammatoire
Crédit photo de Une © Gilles Avrine, oeuvre de Gwen Marseille dans Tinbox n°6 et oeuvre de Marie Labat pour l’exposition À table ! 2022 dans Tinbox n°5
Ouf !!!! quel article ! Tinbox ou comment mettre l’art en boite contre culture du White Cub.
Nadia Russel Kissoon personnalité multi facettes vivant de ses projets multiples mise en lumière par une plume inspirée. De ces lignes nous pouvons sentir l’énergie, l’enthousiasme et la générosité de Nadia Russel. Bien malheureux sont ceux qui ne liront pas ce papier ainsi ils ne connaitront pas la structure interne et externe d’un poulpe animale dont l’intelligence est aussi remarquable que son sang est bleu. Isabelle se souviendra certainement de Poulpo : le céphalopode qui aimait les chats dans son article Petits Fripons.
Endométriose ! une maladie au petit soin pour toutes ces femmes qui en souffrent et pourquoi pas Endométriose Academy qui serait d’un grand secours. je reste attentif pour comprendre cette pathologie destructive et chronique, j’y suis sensible car je connais bien les maladies pernicieuses comme la fibromyalgie.
Inutile de tomber dans le trop démonstratif pour saluer ce travail…un seul mot bravo