L’expérience, ce n’est pas ce qui arrive à quelqu’un, c’est ce que quelqu’un fait avec ce qui lui arrive, dixit Aldous Huxley (1894-1963), l’écrivain, romancier et philosophe britannique dont tout le monde, sur les 50 ouvrages qu’il a rédigés, connait au moins Le Meilleur des Mondes.
Cette pensée, elle m’est venue à l’esprit tandis que je pédalais dans la nuit et sous la pluie, au sortir de ma rencontre avec Davy et sa chienne Abysse, chez Fred et Cyril où le photographe Ken Wongyoukhong, dont j’apprécie éminemment le travail, m’avait, avec sa générosité coutumière, accompagnée.
Back to les Chartrons from les fins fonds de Bacalan, ex-quartier ouvrier au nord de Bordeaux, méconnaissable et en plein chantier pour cause d’urbanisation galopante, je me suis sentie vraiment toute petite, seule dans l’obscurité sur mon vélo, entourée de voitures et de camions roulant à toute berzingue dans un quartier mal éclairé que je ne reconnaissais plus.
Ce qu’une existence chaotique lui a réservé, Davy Bernard a décidé très tôt de le mettre en musique et d’y scander ses mots sur un rythme HipHop/Reggae/Ragga sous le nom grec de Ktema eïs aeï =
Un trésor, un bien pour toujours, une acquisition définitive, quelque chose d’intemporel se prononçant « katéma aiyce aye ».
Les mots et les sons de Ktema pour raconter ce qui dénote
C’est à Rennes en 1995 que, âgé de 13 ans, il monte pour la 1ère fois sur scène pour militer avec les » Psykadélik poètes« , ses grands frères de son et d’inspiration.
À l’époque, l’énergie est hardcore, sans concession, les textes engagés et la vibe évidement bonne… Hip-Hop incisif accompagné de musiciens avec les Psykadélik poètes (1993/1998), chants improvisés sur Dub avec le D.C.A (1997/1998), puis mc / Chanteur Reggae/Raga/Hip-Hop membre de l’O.B.S… (1998/2004)
Au fil des expériences, Ktema gardera l’esprit explicite et militant des « Psykadélik poètes« ,
Or c’est précisément à cause de son dernier morceau, découvert en novembre dernier sur mon fil d’actu facebook, une vidéo YouTube propulsée par Fred Lademoniak (bien sûr que non ce n’est pas son vrai nom) que vous lisez ces lignes.
Un titre où il est question de la rue, que Davy n’a que trop connue pendant ces 6 dernières années. De dérive et de reconnaissance envers ceux qui lui ont, à lui et à sa chienne, mi labrador/mi malinois, Abysse, qui elle non plus n’a pas été épargnée dès son entrée dans la vie, tendu la main.
Quand Davy, le SDF, retrouve Ktema l’auteur, compositeur, interprète
À 38 ans, après avoir vécu à Paris et fait des haltes au 4 coins du pays, Davy s’est posé à Bordeaux il y a 2 ans et demi. Il pensait y trouver le calme d’une petite ville de province et la mer à ses pieds. Or s’il dut réviser ses espérances de vie d’ermite et de vagues à proximité, il ne regrette en rien « sa jolie erreur ».
Après avoir planté sa tente à la gare, juste en face du commissariat (le meilleur moyen d’être protégé des dangers de la rue) c’est à Auchan Lac qu’il migrera pour faire la manche.
Quand je lui demandais comment on devient SDF, la réponse n’est pas simple :
On le devient pour une multitude de raisons. Une séparation douloureuse, l’alcoolisme, la drogue, des problèmes d’argent…
Préciser qu’avoir des parents, dont une mère en fauteuil roulant atteinte de polio, morts tous deux du SIDA quand il était adolescent, et une éducation où la violence était de mise, pose d’entrée les jalons d’un lourd passif à résoudre.
Du désespoir d’une vie sans rien
Et puis, ce sera l’accident qu’il provoquera, ivre, un beau, ou plutôt un sinistre jour, en voulant délibérément traverser à pied… la rocade. Une manière inconsciente d’en finir avec une vie dont il ne veut plus. Un épisode dont il ne se souvient pas, mais qui, percuté par une voiture roulant à 80 km/h lui vaudra une carotide sectionnée, le tibia explosé, 27 micro fractures du bassin et un traumatisme crânien.
Alors que son entourage le pensait mort, il est en réanimation et mettra des mois à se remettre. Pour Abysse, ce n’est guère plus brillant. Attendant des petits, une grossesse compliquée pour une jeune chienne de 1 an, aurait pu aussi lui être fatale. Les chiots étaient morts dans son ventre et elle avait un début d’infection.
Mais c’était sans compter une formidable chaine de solidarité citoyenne organisée par Frédérique et Cyril qui ont aussi hébergé Davy et Abysse au plus grand déplaisir de leurs 3 chats, avec la récolte de fonds via leetchi qui ont permis de faire opérer Abysse et de la soigner. Tout le récit avec ses principaux acteurs est consigné ICI.
… à une nouvelle vie portée par la musique
Aujourd’hui Davy réapprend à vivre et à se connaître. Il a un toit sur la tête et peut se faire à manger dans le tout petit studio de la résidence sociale de la rue Poyenne, aux Chartrons, où il adore cuisiner (des légumes)… mais aussi composer et enregistrer. Comme pour la musique, dont il dit qu’il n’y en a pas de mauvaise, juste parfois de mauvais artistes, il aime tout. Ce qui compte, c’est la préparation !
Alors, non seulement il a arrêté de boire, mais il s’est remis à faire ce qu’il faisait de mieux avant de se retrouver à la rue : du rap.
Un maxi 4 titres a vu le jour en attendant la sortie de l’album « Voie libre » :
Uniquement de la compo au synthétiseur. Pas de sample. Du piano et des mix de sons classiques et de sons electro pour accompagner des textes qui démontrent bien le rapport très fort que Davy voue aux mots et à la langue. Dans la mouvance de Brel, Brassens et Renaud.
Outre les thèmes de la rue, des talents perdus qui se retrouvent dehors, de l’importance d’écouter sa conscience, de l’écologie aussi, il est beaucoup question chez Ktema qui n’est plus le même artiste :
Je suis passé d’improvisateur fainéant à mon double lumineux. Une nouvelle version de moi-même.
Son rêve de reprendre la musique se concrétise. Tout comme il aimerait réaliser celui de refaire de la scène. Alors si tu es un label ou une salle (genre celle du Grand Parc) ou un groupe qui cherche une première partie, prends le temps d’écouter ce qui doit devenir un album.
Et si tu veux acheter le maxi c’est par ici :
Moi j’attends le morceau que Davy a dans les tuyaux pour rendre hommage à Abysse, son bébé. Celle qui est arrivée au bon moment et l’a empêché de sombrer. Celle dont le destin est lié au sien et qui évolue avec lui sur la voie de l’apaisement, même s’il y a encore du chemin.
Enfin pour conclure, au chapitre des envies et des projets, Davy a aussi à coeur de créer une asso pour venir en aide aux SDF et faire comme on l’a fait pour lui… leur tendre la main.
Voilà ! J’espère que cet article t’aura autant touché-e que j’ai eu de bonheur à l’écrire. Et que tu comprendras que si j’ai créé un Tipeee sur la plateforme qui permet à une communauté de soutenir un-e créateur-trice du web (même 1€ par mois c’est super ! ), c’est pour pouvoir continuer à mettre en lumière des personnages tels que Davy et sa chienne Abysse, dont le destin mérite de provoquer plus de buzz que Megan et Andrew réunis…. Parce que conviens-en, et là rien à voir avec une marque hégémonique de cosmétiques : nous le valons bien !
davy est une personne formidable on le ressent dans ses chansons
Oui, il m’a scotchée par sa profondeur quand je l’ai interviewé ! Et tout est parti pour moi, de l’écoute du titre Une main tendue sur FB !
Histoire super touchante et une belle revanche sur la vie ! Il peut être si fier de lui❤️
C’est clair Romain ! Et la preuve que l’on peut faire confiance à la vie, même quand elle est difficile. Tout a toujours un sens…
Just waouw !!!!!!!
Et je dirais même plus miaouw Fred !!!!
Un récit remarquable dont le coeur ne peut ressortir indemne et l ame chargée devant le destin de cet homme et de sa compagne Abysse dont le noir manteau se confond avec son nom .
Davy accidenté de la vie et de son visage se dégage quelque chose de profond emprunt de mélancolie et de sérénité qui dit tout de l homme qu il est, ses chansons en sont le témoignage.
L introduction de ce récit se lit comme un roman dont le style transpire un je ne sais quoi de fantastique et d étonnant dans cette traversé d un quartier devenu presque inconnu.
Un coup de maitre littéraire et une approche humaine qui façonne un peu plus Isabelle dans la quete du bien
Merci pour ton commentaire, comme d’habitude très détaillé Eric ! J’espère que le disque de Davy t’aura inspiré comme je le trouve inspirant. Il justifie à lui tout seul l’article que j’ai fait sur lui.
Fière de faire partie de cette belle chaîne de solidarité et que toi, Davy, tu prouves aussi généreusement qu’aider son prochain n’est pas un vain mot
Cette histoire est vraiment une belle aventure solidaire citoyenne et humaine. Je sais le rôle que tu as joué dedans. Tu peux être fière en effet Corinne ! Davy a eu de la chance d’être entouré d’autant de bienveillance et de détermination où tout le monde est gagnant !