Forte de son ancienne vie de correspondante locale pour le journal Sud Ouest, prémices de sa carrière de journaliste, puis de blogueuse en série aguerrie, Isabelle Camus m’a présenté Corvidés de David Gauthier et Correspondant local de Laurent Queyssi, deux polars (un genre qu’elle affectionne tout particulièrement) qui lui semblait important de me faire lire. Car au-delà du style et de l’intrigue, c’est surtout dû au fait que le rôle de l’enquêteur soit tenu par un journaliste qui a tout particulièrement plu à Serial Blogueuse !
Dans le cadre de ma première année en école de journalisme, elle s’est dit que ces deux bouquins, sortis tout récemment à quelques semaines d’intervalle, pourraient faire écho à mon cursus et à mon projet professionnels. Elle ne s’est pas trompée.
Avec « Corvidés », David Gauthier choisit le policier pour son premier roman, où le héros, comme lui, est journaliste
Fraichement sorti en mars 2021, Corvidés est le premier roman du journaliste David Gauthier.
Né à Cenon, à côté de Bordeaux, il a passé une partie de son enfance au Gabon, en Afrique. Il revient quelques années plus tard en Gironde, dans le petit village de Salignac, planté au milieu des vignes, et restera là-bas jusqu’à ses 18 ans.
C’est d’ailleurs son village d’enfance qui lui inspirera « Salérac », décor principal où évolue l’intrigue de son roman. Si au départ il ne souhaitait pas nommer le village, l’idée de sa petite amie de compresser Salignac (village d’enfance de David) et Ribérac (village d’enfance de sa chérie), lui est parue pertinente.
» Ça donne vachement plus de corps au texte et à l’histoire d’avoir un village avec un nom. «
Un avenir dans le monde du journalisme
Le bac en poche, David a hésité sur le choix de ses études. Obtenant d’abord une licence d’histoire à Bordeaux, il décide par la suite de préparer le concours d’entrée pour intégrer l’IJBA (Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine) en 2013. Diplômé en 2015, il effectue des contrats à droite, à gauche, alternant entre Bordeaux, Barbezieux, Saintes ou encore Marmande (tout comme Matthieu, jeune journaliste en herbe qui va aider notre protagoniste).
Ayant déjà fait un stage à Charente Libre, il intègre l’équipe en 2017. Une aubaine, une chance dans cette période où le marché de l’emploi n’est pas au beau fixe.
» Déjà en 2014, en école de journalisme, on nous disait : un quart des gens qui vont être diplômés viendront à changer de métier. C’est con de dire ça, car ça décourage les gens à l’avance. Mais c’est de plus en plus vrai, parce que c’est un métier avec beaucoup de responsabilités. Il y a de plus en plus de gens qui se détournent de la profession, et même dans mes amis très proches il y en a plusieurs qui ont carrément arrêté le journalisme après quelques années. «
L’écriture, une passion que David Gauthier cultive depuis l’enfance
Si, depuis son plus jeune âge, l’auteur lit beaucoup et de tout, (grâce à ses parents, bibliophiles confirmés, qui laissaient trainer pas mal d’ouvrages), c’est par dessus tout la saga « Harry Potter » qui le marquera :
» Je suis de la génération où vers 7/8ans, tous les Harry Potter sont sortis. C’était la déferlante et tous les gamins de ma génération, et même ceux d’après, ont lu ça. J’attendais que le bouquin sorte, j’ allais le choper au Géant à côté de chez mes parents et je passais une nuit blanche à le lire. »
Les ouvrages de Serge Brussolo, comme Peggy sue et les fantômes, l’ont aussi forgé au cours de sa jeunesse. Cette grande diversité de lecture lui a également permis de développer rapidement un goût prononcé pour l’écriture. Griffonnant depuis qu’il est petit, c’est surtout à partir du collège qu’il développe ce talent.
» J’ai commencé à écrire des petites histoires dans mon cahier de brouillon pour mes copains. J’aimais bien écrire des petites nouvelles. Je leur montrais même s’ils n’en avait rien à secouer, mais moi j’étais content. »
S’il délaisse un peu ce passe-temps au lycée (la fête et les copains d’abord !), il reprend le rythme une fois arrivé à la fac : c’est dans le journal Tintamarre qu’il pose sa plume, au travers de petites nouvelles prenant une page complète, et retrouve ainsi le goût de l’écrit.
L’idée d’un premier roman
L’idée d’écrire un roman a d’abord effleuré l’esprit de David lors de sa dernière année à l’IJBA. Pour son mémoire de fin d’étude, il décide carrément d’écrire un livre. Un projet qui s’avérera un peu trop ambitieux à l’époque pour le jeune étudiant qu’il était.
« C’est un travail colossal, et je n’avais pas du tout mesuré à 23/24ans le boulot qu’il fallait pour écrire un roman. J’étais un peu naïf. Donc j’ai collé des bouts de nouvelles que j’avais faites jusque-là. J’avais l’impression de faire un truc génial, mais en fait c’était nul. J’avais d’ailleurs été très vexé par le prof qui m’avait dit que ça ne menait à rien, alors qu’en fait avec le recul, il avait complètement raison. »
Si l’envie de rédiger un roman lui trotte dans la tête depuis belle lurette, c’est fin 2016 début 2017, armé d’une plus grande expérience, qu’elle se concrétisera vraiment.
L’idée d’un corbeau lui est venue assez rapidement, et c’est sur ce postulat de départ qu’il entreprendra pas mal de recherches. Tout d’abord sur l’histoire qui a inspiré Henri-Georges Clouzot pour son film Le Corbeau, mais surtout sur l’affaire de corbeau qui a frappé Tulles dans les années 1917-1922. En parallèle, entendre parler de corbeau à droite et à gauche, ne fit qu’accentuer son envie d’en tirer quelque chose.
Des personnalités contrastées, mais tout aussi attachantes les unes que les autres
Le livre nous offre un grand panel de personnages, nous permettant de nous attacher assez facilement à l’un ou plusieurs d’entre eux.
Que ce soit le journaliste Nicolas Berger, protagoniste de l’histoire envoyé dans le village de Salérac pour prêter main-forte à son collègue déjà sur place. « Victime » d’une rupture douloureuse, on prend en sympathie ce coeur brisé qui tente de remonter la pente et de l’oublier, « Elle », celle dont on ne saura jamais le nom.
Ou bien Matthieu, cette jeune recrue fraîchement diplômée qui enchaîne les CDD, affecté au journal local, et qui tente de résoudre l’affaire du corbeau tant bien que mal. Assez réservé, on le voit doucement évoluer et prendre confiance en lui au fil des pages.
Ou enfin peut-être Charles, le brocanteur au grand coeur, qui soutiendra notre protagoniste tout au long de son enquête. « Ancien marin », on plonge dans son passé au travers de ses récits et on s’attache à ce personnage atypique auprès duquel Nicolas trouvera une présence quasi paternelle.
Une livre qui fait écho à son histoire
Une fois l’intrigue imaginée, David Gauthier a choisi de planter son décor dans un lieu qu’il affectionne : les villages.
« C’était un peu une manière de rendre hommage aux petits villages du sud-ouest que j’aime. Et je voulais que ça serve aussi à montrer à quoi ressemble un village français, aujourd’hui : il n’y a plus de services, maintenant dans chaque village, soit tu n’as plus de commerce, soit tu en as un qui fait tout, comme le fait l’auberge dans le roman. Et je voulais aussi montrer aux gens qu’il se passe des choses dans ces villages. »
Lui reste ensuite à trouver son héros. Et c’est là que Nicolas Berger apparaît. Localier dans un canard du village, il incarne le journalisme que David a toujours fantasmé.
« Tu vas au café du coin pour récupérer des infos, discuter avec des gens, tu te poses dans un petit resto de campagne entre deux reportages. Mais finalement c’est très éloigné de la réalité de la profession, c’est assez rare. En plus, aujourd’hui, on commence à être de plus en plus multitâches. Corvidés ça fige un peu le journalisme que j’aime, et j’aimerais qu’il reste comme ça un maximum. »
Le fait que, dans un polar, le protagoniste ne soit pas un flic plaisait aussi beaucoup au jeune auteur.
» Le journaliste n’a pas du tout le même pouvoir qu’un flic. J’aime bien l’idée du héros qui se dépatouille. »
Ce personnage, que l’on suit tout au long du bouquin, ressemble beaucoup à David Gauthier. Tout comme le bouquin, qui pour lui, fait réellement écho à ce qu’il a connu. Ce premier roman est en quelque sorte une « partie » de lui.
Et s’il n’est pas devenu magicien comme Harry Potter (son rêve d’enfant), être journaliste option écrivain apparait vraiment, aujourd’hui, comme une voie que David Gauthier a eu raison d’emprunter.
Avec « Correspondant local » Laurent Queyssi, auteur aguerri, se lance dans le polar
Laurent Queyssi a débuté dans le métier il y a plus de 20 ans avec des nouvelles fantastiques et de science-fiction.
Voulant faire des BD mais ne sachant pas dessiner, il se tourne vers l’écriture pour atteindre son rêve. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça a fonctionné !
Publiant tout d’abord des formats courts, il commence petit à petit des traductions. S’ensuivra l’écriture de romans, un travail à plein temps, pour arriver enfin à son but premier, l’écriture de BD. Auteur très diversifié s’intéressant à tout, il s’adresse aussi bien aux adultes qu’au jeune public.
Un pur produit marmando-bordelais
Si Laurent n’a pas quitté Bordeaux depuis de nombreuses années, il a passé une grande partie de son enfance à Marmande, dans le Lot et Garonne, où vit encore aujourd’hui sa mère.
Une ville qui l’inspirera d’ailleurs pour le décor de son roman : il reprendra, entre autre, plusieurs noms de rue pour accentuer le sentiment de réalisme de ses descriptions.
C’est seulement à l’âge de 18 ans, une fois le bac en poche, que Laurent quitte son « bled » pour se rendre à Bordeaux et intégrer une faculté de Lettres modernes.
Il continuera ses études jusqu’à obtenir un DEA (diplôme d’études approfondies) de littérature comparée avant d’entrer dans le monde professionnel et de débuter sa carrière en tant qu’auteur.
Écrire un policier : une nouvelle étape dans sa carrière d’écrivain
Laurent Queyssi caressait l’idée d’écrire un roman policier depuis de nombreuses années. Grand adepte de l’auteur Joe R.Lansdale, écrivain de polar sur fond d’humour, il aimait particulièrement le fait que l’américain parle de son « bled » (le Texas de l’est) en le mettant en scène dans ses histoires.
» Il travestit un peu la réalité pour pouvoir faire ce qu’il veut. »
Il s’est alors dit qu’il faudrait faire pareil en France. Car si on trouve un nombre incalculable de polars, selon Laurent Queyssi, on trouve également deux dichotomies omniprésentes :
» Il y a le polar urbain, traditionnel, qui se passe dans les grandes métropoles, et après il y a le polar qui se déroule dans les campagnes, la pampa, vraiment le village où il n’y a rien. Mais il y a très peu, voire pas du tout d’entre-deux : les sous-préfectures, les petites villes. »
Dans le peu qu’il a eu la chance de dénicher, aucun ne lui convenait assez. L’envie d’écrire son propre polar ne cessait de grandir.
Le lieu : la pièce clé d’un bon polar
Si Laurent Queyssi habite Bordeaux depuis 25 ans, il ne souhaitait pas écrire sur sa ville. Déjà exploitée dans de nombreux romans, il voulait choisir un décor unique, propre à lui. La seconde option qui s’est alors offerte à lui était d’écrire sur le « bled » dans lequel il avait grandi.
Problème ? Il n’y avait pas remis les pieds depuis ses 18 ans. Il n’avait donc pas vraiment une idée précise du décor ou des détails. Ne se décourageant pas pour autant, il a décidé de faire avec ce qu’il connaissait et d’inventer le reste. Un mélange plutôt réussi puisqu’on se plonge dans la petite ville de Castelnau comme si on y avait toujours vécu !
» Je ne visais pas le réalisme, je visais l’impression de réalisme. Après je pouvais toujours poser des questions si j’avais des doutes, je pouvais me renseigner. Mais je m’en foutais d’être vrai ou pas, il fallait que je sois juste. »
Enquête au coeur du statut des correspondants locaux
L’idée que son protagoniste, Alexandre Lolya, soit un correspondant local (ce journaliste qui n’en a pas le titre, payé à la pige et qui ne bénéficie d’aucun des avantages du salariat) ne lui est venu qu’à la fin. Il avait défini son décor, il savait qu’il y aurait un duo, mais, il ne savait pas quelle profession il allait lui donner. Comme pour David Gauthier, Laurent Queyssi ne voulait pas que son personnage principal soit un flic.
Si le concept d’un saisonnier lui est d’abord venu à l’esprit, c’est quand il a pensé à un correspondant local que tout s’est illuminé.
» J’ai tout vu : le titre direct, tout le contexte, il pouvait aller voir tout le monde, il connaissait tout le monde, il était vraiment au centre de la ville. »
Pour parfaire son personnage, il a contacté un journaliste de Sud-Ouest, Philippe Belhache, afin d’avoir des informations sur le métier, qu’il ne connaissait pas du tout. Sans revendication dans le choix de ce boulot, il le trouvait pertinent dans la mesure où le correspondant local est plus intégré dans une petite ville qu’un journaliste détaché (et ça, ce n’est pas notre Serial blogueuse préférée qui l’a été pendant plusieurs années qui dira le contraire, puisque son expérience a donné naissance à son blog Chartrons’ place to be, devenu depuis la rubrique Quartier(s) de ce site !).
» Lui c’est un enfant du pays, il connait tout le monde depuis longtemps, il n’a pas d’enjeux de métier, il est là, un peu désabusé. Il a vécu un drame, il est là parce qu’il n’a rien d’autre et pas vraiment d’ambition. Je voulais un mec comme ça. Quand il y a un truc qui lui tombe dessus, ça ne dérange pas vraiment sa vie, ce n’est que la suite de ses emmerdes, il est habitué à souffrir. »
Un serial killer à glacer le sang
Pour son second personnage majeur, il a lu énormément d’ouvrages concernant des serial killers. De cette façon, il a fait une sorte de « best-of » de ses recherches pour créer son propre assassin. Un travail préliminaire que l’on retrouve bien au travers de chapitres subjectifs où l’on évolue du point de vue du tueur.
» J’ai écrit toute l’intrigue d’entrée, et à la fin j’ai terminé par les chapitres concernant le serial killer. Une fois que j’avais fini tout le reste, je savais à peu près ce qu’il allait y avoir. Donc j’ai écrit tout ça tout d’un coup et honnêtement, je n’étais pas bien cette semaine-là, j’en avais marre de faire ça, psychologiquement c’était dur. »
Hormis ce personnage torturé, il a aimé développer tous les protagonistes. Même le chien, qui s’inspire de Miles, comme Davis, son labrador à lui (même s’il est plus fou dans la vrai vie selon son maître !).
Un roman plaisir
Si de manière général Laurent s’impose davantage de contraintes pour l’écriture (plan détaillé), la rédaction de ce bouquin s’est faite assez naturellement, comme si dès les premiers mots, il savait déjà tout ce qui allait se passer, dans quel ordre, chaque pièce du puzzle s’emboîtant parfaitement avec les précédentes.
» Ça faisait des années que j’avais cette idée, et j’ai trouvé ma première phrase un vendredi après-midi, qui est d’habitude le moment où je commence à me préparer à arrêter pour le week-end. Mais là je suis parti sur cette base et je n’ai pas arrêté pendant trois mois, tous les jours, c’est venu comme ça. «
Sans aucun plan, l’écriture se faisait au jour le jour. La veille d’écrire la fin de son roman, il n’avait encore aucune idée de la manière dont il allait se terminer.
» Tout s’est écrit assez logiquement, je ne suis pas revenu sur des trucs, ça s’est bien goupillé. Je pense que le fait d’être en vue subjective, à la 1e personne, ça a permis de faire couler le truc naturellement. J’avais les grosses scènes, quelques éléments, surtout au début, mais après c’est venu petit à petit, tout me paraissait logique. Je n’ai pas lutté, et ça, ça a été un réel plaisir. »
Des polars captivants qui ne demandent qu’une suite
Que ce soit David Gauthier ou Laurent Queyssi, cette expérience leur a donné, à tous deux, encore davantage envie de continuer l’aventure.
David Gauthier, de son côté, en parallèle de son métier de journaliste, travaille sur un deuxième polar, beaucoup plus noir, qui se déroulera en Charente. Si ce n’est pas une suite de son premier opus, on retrouvera tout de même Matthieu, jeune journaliste présent dans Corvidés et le rôle du personnage principal sera à nouveau endossé par un journaliste.
Pour Laurent Queyssi, l’idée d’une suite flâne dans son esprit. Il a quelques idées et il aimerait bien entreprendre un second volume, mais ne s’impose pas de pression sur sa rédaction.
En attendant une potentielle sortie pour chacun d’entre eux, vous avez la possibilité de retrouver l’ouvrage Corvidés aux éditions Envolume et Correspondant local aux éditions Filatures.
Soyez assuré·e·s que vous passerez dans les deux cas, un excellent moment !
Une expérience de lecture qui n’a fait que confirmer mes cours de déontologie destinés à me préparer à la « dure » réalité du métier de journaliste : le chemin risque d’être semé d’embûches, mais après tout, comme on dit :
« La réussite sourit aux audacieux·ses… et aux passionné·e·s ! »
Corvidés et Correspondant local : au coeur d’une enquête
Quoi de plus passionnant qu’une enquête menée par des journalistes d’investigation à la Rouletabille de Gaston Leroux , de cette chronique s’exhale un parfum de mystère, de secrets et d’improbables rencontres dans lesquels Nicolas Berger et Alexandre Lolya seront immergés dans leur quête de la vérité.
Une belle présentation de David Gauthier et Laurent Queyssi, de l’aboutissement de leur projet, de leur passion pour la littérature et le polar qui donne assurément envie de lire Corvidés et Correspondant Local.
Bravo pour ce très bel article
Merci beaucoup Éric, si on a réussi à te donner l’envie de lire ces ouvrages, on a tout gagné ! Je ne peux que te les conseiller !
C’est vrai qu’il y avait Rouletabille, le journaliste enquêteur français le plus célèbre avec Tintin, le belge ! Merci pour ton com’ Eric !
Quel bel article ! Merci pour l’auteur.
L’équipe Envolume