Alors qu’elle vient tout juste de mourir à 91 ans, parler de Brigitte Bardot (28 septembre 1934 – 28 décembre 2025), c’est toucher à ce que l’histoire fait souvent : accueillir dans son panthéon des personnages aussi admirables que contestables.
Son engagement total pour les animaux — via sa fondation, ses croisades incessantes*, son courage à tout quitter pour eux — coexistant avec des prises de position radicales et condamnées par la justice pour incitation à la haine raciale.
J’ai toujours partagé le premier combat et vomi le second, dont elle ne s’est jamais cachée — et dont elle n’a jamais rien édulcoré.
Car, à la différence de bien d’autres figures de la scène publique, la “vérité” sur Bardot n’a pas attendu l’après-mort pour éclater : ses outrances, ses convictions et ses condamnations étaient déjà connues, débattues et assumées de son vivant (j’avoue que je n’en connaissais pas la moitié, et que ce que j’ai appris m’a laissée pantoise).
Bardot qui rime autant avec droits des animaux, qu’avec facho, restera donc une icône libre et dérangeante, rebelle et réactionnaire, transgressive et excessive, courageuse et scandaleuse, adulée et honnie, misanthrope et dévouée à sa cause — un mythe pétri de contradictions.
Ce que j’ai voulu exprimer (à chaud) dans un post sur mon profil FB en insistant sur les paradoxes de celle dont les initiales B.B. sont aussi connues que le nom. Mais qui, une fois l’émotion passée, et au vu des réactions sur les réseaux sociaux divisant nombre de mes amis et de ce que j’ai découvert par la suite, a entrainé chez moi une réflexion, qu’avec vous j’ai envie de partager.
Nota Bene : pour éviter toute ambiguïté, mon propos ici ne concerne que des personnalités aujourd’hui disparues — en laissant de côté les vivants, qui auront tôt ou tard droit, eux aussi, à la casserole de leurs hommages posthumes divisant les pour et les contre et glissant sur ceux qui s’en foutent.
Brigitte Bardot & Co
Que l’on soit dans la lucidité ou le déni on le sait (tôt ou tard et plus ou moins en détails), l’Histoire, la petite comme la grande, est pleine de figures entre ombre et lumière :
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Voltaire, défenseur de la tolérance et de la liberté d’expression — mais aussi auteur d’écrits racistes et lié au commerce colonial.
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Thomas Jefferson, rédacteur de la Déclaration d’indépendance — tout en restant propriétaire d’esclaves.
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Winston Churchill, symbole de la résistance au nazisme — et homme aux positions ouvertement racistes, impliqué dans des décisions tragiques pour les colonies.
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Gandhi, inspirateur mondial de la non-violence — mais dont certains écrits et comportements restent très contestés.
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Martin Luther King, figure de la lutte pour les droits civiques — mais à la vie personnelle loin d’être irréprochable.
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John Lennon, icône de la paix — qui a reconnu lui-même avoir été violent dans sa jeunesse avec ses petites amies et ne fut pas un modèle de paternité avec son premier fils.
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François Mitterrand, président réformateur — mais au passé et à la vie privée longtemps dissimulés.
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Coco Chanel, créatrice styliste qui a libéré le corps des femmes — mais dont la proximité avec des responsables nazis a durablement terni l’image.
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Et même l’Abbé Pierre, longtemps “personnalité préférée des Français” pour son engagement auprès des sans-abris — dont l’héritage a été profondément ébranlé, bien après sa mort, par des témoignages et enquêtes faisant état d’agressions sexuelles répétées.
Liste non exhaustive…
Et si la réponse était chez les Stoïciens ?
Nous avons visiblement tort de chercher des héros « purs » qui lavent plus blanc que blanc et dans lesquels nous aspirons à nous projeter. Les Stoïciens l’avaient déjà compris qui prônaient :
n’admirons pas aveuglément les personnes, admirons les vertus.
Épictète rappelait qu’en attachant notre admiration à la gloire, au pouvoir ou aux statues vivantes que sont les célébrités, nous nous mettons sous leur dépendance.
Marc Aurèle, lui, notait que bien des hommes célèbres ont été célébrés par d’autres « qui ne valaient pas mieux qu’eux ».
Autrement dit : les grands restent des humains — traversés de failles.
C’est lundi, c’est philosophie
Je sais, je sais, tout ceci a des allures de devoir de philo dont le sujet pourrait-être :
« L’admiration peut-elle ignorer la part d’ombre et la part d’ombre doit-elle empêcher l’admiration ? »
Vous illustrerez votre réflexion en vous demandant également :
« Est-il possible de saluer un combat ou une création sans sanctifier celui ou celle qui les porte ?
Et faut-il dissocier l’homme de l’œuvre — ou continuer à juger nos semblables comme si nous étions tous des saints ? »
Vous avez 4 heures.
Comment, dans notre manière souvent binaire de fonctionner, reconnaître une œuvre, un courage, une action juste — sans transformer celui ou celle qui l’accomplit en idole morale, ou, en cas de tords, de faiblesse, ou d’abus, en monstre total ?
Et cette question, je me la pose aussi à moi-même, souvent en pole position pour me fourvoyer dans ce besoin d’admiration, avec pour corollaire de la situation, souvent la déception.
Brigitte Bardot nous renvoie en pleine figure non seulement un voyage au pays de nos souvenirs (je suis née en 1960 et ai donc même connu le général de Gaulle…), mais aussi, sans fard ni faux-semblants, qu’en chaque homme et femme il y a du bon et du mauvais.
Et qu’au fond, il ne s’agit ni de sanctifier ni de brûler, mais de voir. Voir qu’une même vie peut porter à la fois lumière et ombre, engagement et égarements. Brigitte Bardot nous oblige à quitter le confort du noir et blanc : admirer sans absoudre, critiquer sans effacer.
Certes les figures publiques portent une responsabilité – leurs mots et leurs actes pèsent sur le monde et la société. Mais à nous aussi la responsabilité de ne pas nous laisser fasciner au point d’abdiquer notre esprit critique.
Admirable, détestable, inoubliable, contestable… Résister à l’hommage aveugle autant qu’au rejet total — et regarder en face ce que la lumière n’annule pas… et ce que l’ombre n’efface pas.
Nous verrons bien ce que l’Histoire, elle, en conservera…
* Interdiction des élevages d’animaux à fourrure, des spectacles vivants, lutte contre la cruauté animale, interdiction de la vente des chiens et chats en animalerie, des spectacles d’orques et dauphins, des tests cosmétiques sur les animaux, du commerce d’ivoire, des crash tests automobile avec animaux vivants, étourdissement obligatoire avant abattage…




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