C’est en préambule de la grande conférence internationale COP 21 qui se tiendra à Paris, du 30 novembre au 11 décembre prochain, qu’a été co-organisé, du 10 au 13 septembre, par l’association Surfrider Foundation Europe, Darwin, l’éco-système de la caserne Niel et l’agence Playground, l’Ocean Climax Festival.
LE BUT : obtenir un million de signatures à la pétition « Mouillez-vous pour les océans » demandant au gouvernement français de taper fort du poing pendant la COP 21. Beaucoup de concerts à l’affiche, du street art, dont une rétrospective de Shepard Fairey et des conférences avec des personnalités reconnues comme Hubert Reeves, Pascal Picq et Ségolène Royal pour attirer un maximum de monde.
Après la conférence de presse sur invitation du jeudi soir, donnant le top départ aux concerts (gros succès) et aux débats, nous entrions vendredi matin, dès 9 h 30, dans le vif du sujet avec une succession de forum pratiquement tous aussi passionnants les uns que les autres.
En matinée, 1er grand thème : Le littoral, une rencontre terre-océan, un creuset de vie
Un anniversaire !… « 25 ans que Surfrider Foundation Europe se bat pour l’océan », annonce en introduction Stéphane Latxague, directeur général de l’association. Ce festival est ainsi un message à la fois scientifique et politique pour un avenir qui se profile avec moins de territoire et toujours plus d’êtres humains vivant de plus en plus sur le littoral.
Un seul mot : s’engager, dépasser tous les clivages, amener les entreprises vers un peu plus de responsabilité, « Se mouiller pour les océans » !
Pour cela, trois points importants : réduire son impact écologique, entretenir des relations sociales plus riches et tendre vers une urbanisation plus apaisée.
L’ouverture du forum est confiée au célèbre astro-physicien Hubert Reeves, jusque-là taiseux et un peu apathique. Il prend la parole et la métamorphose est sidérante. De sa voix forte et rocailleuse, au chaleureux accent canadien, il nous raconte l’histoire de la terre, de la biodiversité, avec pédagogie, humour, intelligence et là nous ne demandons qu’à le suivre dans sa détermination et son optimisme.
« L’âge moyen de ceux qui s’occupent de l’environnement est en général plutôt élevé, constate-t-il en introduction, je suis content de voir ici que les jeunes s’y mettent ».
Puis il le dit franco : « il ne faut pas se voiler la face, ce qui va se passer dans 50 ans se présente assez mal. Des constats qui font peur : Nous avons déjà utilisé la moitié de notre réserve de pétrole. Si nous utilisons l’autre moitié, c’est la mort de l’humanité ». Il dit « Nous menons un combat contre la nature et si nous gagnons, nous sommes perdus ! »
« Mais, ajoute-t-il, toute crise a des aspects positifs et le gêne humain continue à se développer ». Ce qui est important c’est de faire comme la tortue, sa mascotte. Savoir s’adapter, comme elle le fait depuis 200 millions d’années. L’homme est un novice avec ses 5 à 6 millions d’années.
Car la nature ne fait pas de cadeau, l’homme ne peut pas la conquérir. Il n’y a qu’une solution : vivre en harmonie avec elle.
C’est avec une certaine ferveur qu’il veut inciter l’humanité à se battre puisqu’elle a porté sur cette planète des choses qu’aucun autre n’a pu apporter : l’art et la culture… la science… l’empathie. L’intelligence de l’humanité serait-elle un cadeau empoisonné ?… La bombe atomique, l’augmentation prodigieuse, depuis la deuxième guerre mondiale, des transports, du chauffage et du gaz carbonique dans l’atmosphère, qui fait monter la température et le niveau de la mer.
… Il se refuse à le croire : « Notre rôle aujourd’hui est d’utiliser cette intelligence à contrôler notre pouvoir, notre énergie » pour sauver la biodiversité, l’ensemble des organismes vivants que sont les individus, les espèces, l’éco-système qui assurent la fertilisation, la pollinisation, la purification des eaux.
Après les échecs des conférences sur le climat de Rio de Janeiro en 1992, Johannesburg en 2002 et de Copenhague en 2009, le forum mondial de l’économie responsable à Lille en 2014, il fonde beaucoup d’espoirs sur la COP 21 de Paris. La Chine et les Etats-Unis semblent vouloir s’engager et il compte bien mettre la pression sur les gouvernements pour combattre les lobbies économiques.
« Je suis déterminé et volontairement optimiste. Les décisions que nous prendrons maintenant peuvent influencer l’avenir de la planète », déclare-t-il en conclusion sous un tonnerre d’applaudissement.
Le passionnant paléo-anthropologue du Collège de France, Pascal Picq prend alors la parole pour nous raconter les rapports de la vie humaine avec les océans.
Contrairement à ce que l’on a pu croire jusqu’à nos jours, les hommes naviguent depuis plus de 100 000 ans, donc bien avant Christophe Colomb. « Nous avions les moyens de le savoir, confie-t-il, mais quelquefois les convictions empiriques nous détournent de la vérité ». L’Homo Sapiens, originaire d’Afrique, s’est vite répandu vers le Nord et l’Est, puis vers le continent américain par le Pôle nord. Toutefois comme on trouve aussi des traces d’Homo Sapiens en Australie avant même leur arrivée en Europe, il a bien fallu en déduire qu’ils sont partis d’Afrique du Sud pour atteindre l’Australie : un départ par les voies maritimes, sans terre en ligne d’horizon… de quoi laisser pensif. « C’est ainsi, poursuit-il, qu’un des facteurs de l’expression moderne a été inventé depuis longtemps… Seul Homo Sapiens a été capable de s’engager par-delà l’inconnu absolu ».
De même, nous ne savons que depuis 30 ans, que nous sommes la dernière espèce survivante d’une diversité qui a pu vivre ensemble jusqu’au bouleversement climatique. Néandertal et Homo Sapiens se sont croisés, influencés, fréquentés (et quelquefois plus si affinité !) pendant presque 50 000 ans. Mais c’est grâce à sa faculté de pouvoir courir 70 km par jour, plus qu’à son intelligence (Néandertal avait un cerveau plus gros !) que l’Homo Sapiens a pu s’affranchir des forêts et sauver sa peau. L’adaptation, encore…
Depuis toujours l’homme a laissé des traces écologiques. Se déplaçant en Afrique, il tue les espèces qui le gêne. Et peu à peu, dans cette co-évolution que sont l’ensemble des relations entre les espèces dans la biodiversité, nous assistons à une course à la puissance écologique exceptionnelle.
Avec une accélération jamais vue depuis 50 ans : une population multipliée par 3 et une empreinte écologique multipliée par 100.
« Il faut absolument sauver et protéger la bio-diversité, conclut-il gravement, car elle est l’assurance vie des générations futures ».
Puis c’est au tour d’Odile Gauthier, Directrice du Conservatoire du littoral depuis 2012. Cet établissement public, « sans équivalent en Europe », précise-t-elle, a été créé en 1975 afin d’acquérir des parcelles du littoral menacées ou dégradées par l’urbanisation, pour en faire des sites restaurés, aménagés et accueillants dans le respect des équilibres naturels.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 16 % de la population vit sur les côtes avec un taux d’urbanisation supérieur à 80 % de plus qu’ailleurs. 8 millions d’habitants vivent sur les communes du littoral et on en prévoit 25 % de plus d’ici 20 ans.
Hors ce littoral est depuis toujours en perpétuel mouvement. Le trait de côte recule et, avec le changement climatique, il va reculer encore plus. Odile Gauthier pousse un cri d’alarme envers le gouvernement : Il faut changer de politique sur notre littoral et arrêter de toujours plus l’artificialiser. Stopper l’urbanisation des côtes permettra de s’adapter (encore et toujours !) au changement climatique et laisser les mangroves prendre de l’importance puisqu’elle jouent un rôle capital en captant 2 à 3 fois plus de CO2.
S’adapter, tel est le maître mot, comme le prône aussi Hubert Reeves. C’est un combat perdu que de lutter contre la nature. Le salut de l’humanité viendra de l’intégration de cette dimension : s’adapter et vivre en harmonie avec la nature.
Après un petit film didactique sur les fonds marins, Lionel Guidi, Océanographe au CNRS (Laboratoire d’Océanographie de Villefranche sur Mer), expose le rôle du plancton pour la vie humaine. A la base de la chaîne alimentaire, les poissons se nourrissent de plancton, composé d’organismes microscopiques. Les recherches de l’océanographe visant à mieux comprendre le cycle du carbone des océans et le rôle du plancton dans ce cycle.
Fondamental, il génère de l’oxygène, absorbe le gaz carbonique, sans oublier son rôle de grand pourvoyeur d’énergie fossile comme le pétrole.
Mais il est menacé par la pollution et le réchauffement climatique et ses assauts menace l’espèce humaine. « C’est le premier maillon de la chaîne alimentaire. Sans lui, la diversité des espèces marines ne serait pas ce qu’elle est, et… nous non plus, puisqu’il produit la moitié de l’oxygène que nous respirons.
Enfin, pour conclure ce premier forum, Ségolène Royal, Ministre de l’écologie, arrive en fin de débat mais avec une annonce : l’application, à compter du 1er janvier 2016, de l’interdiction de l’usage des sacs en plastique non recyclables qui n’était prévue qu’en 2025. Elle souligne s’être battue contre la pression des grands distributeurs en particulier et affirme leur avoir même arraché le fait de ne pouvoir se servir des sacs à usage unique qu’ils ont en stock.
Dès 14 h et jusqu’à 18 h : Une réponse politique est nécessaire et possible
Une excellente nouvelle quand on sait que 17 milliards de sacs plastique sont distribués par jour dans le monde (majoritairement fabriqués en Asie), que 8 milliards sont abandonnés dans la nature ce qui finit par former dans l’océan pas moins de cinq continents de plastique dont un a la taille d’un tiers des Etats-Unis !
Pour la Ministre de l’écologie, la conséquence de cette interdiction permettra de développer en France, des industries de fabrication de sacs bio-dégradables et créer de la croissance verte et des emplois.
… Où il est dit que la mobilisation politique doit être sans faille face aux menaces du changement climatique sur les océans et où l’on pense aux solutions qui doivent être mises en oeuvre avec deux grands témoins : Alain Juppé, Maire de Bordeaux et ancien Ministre de l’environnement a avoir été membre de la délégation française lors de la COP 21 et Thomas Wolf, Consul des Etats-Unis à Bordeaux.
Au niveau international et européen, réussir la COP 21 !…
Kirsten Schulz, conseiller environnement à l’Ambassade des Etats-Unis en France reprend, presque mot pour mot, le discours tenu par le Consul sur la prise de conscience et l’engagement de Barack Obama pour la COP 21 qui voit cette conférence comme la dernière chance à donner à notre planète. « Le président entend faire baisser les émissions de CO2 de 28 % d’ici 2025 et de 32 % d’ici 2030. Pour la COP 21, nous voulons un accord satisfaisant, ambitieux, juste et durable ».
Treize grands groupes tels Apple, Google, Coca, General Motors… ont déjà investi 140 milliards dans les énergies renouvelables.
Avec le littoral le plus long du monde, John Kerry met la priorité sur les océans avec de nouveaux partenariats et veut faire comprendre aux citoyens qu’il va falloir consommer différemment.
Les USA semblent pleinement se mobiliser pour un accord solide avec le désir que tous les pays s’associent et prennent la mesure de la réalité. Les USA, avec la Chine et l’Europe s’engagent à limiter à 2° le réchauffement de la planète.
« Mais déjà, affirme-t-elle, il y a une énergie humaine : la société civile qui se mobilise à fond par rapport à l’inertie de la politique ».
Yannick Jadot est député européen EELV et commence très fort : « Il faut maintenant être responsable. L’inaction c’est une arme contre l’humanité. Il faut se réconcilier avec la nature et le reste de l’humanité et une ré-appropriation citoyenne ».
Yannick Jadot déclare donc la guerre au vieux monde et à ses mauvaises habitudes. Si Copenhague n’a pas marché, c’est à cause, en grande partie, du lobbying des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole, nucléaire). « Il faut laisser 80 % des réserves dans le sol. Nous vivons dans un monde de contradiction, de schizophrénie, déplore-t-il. Combien de temps les états vont-ils rester prisonniers des lobbies et d’un imaginaire de la croissance qui est censé rassurer les français, mais qui les mène à leur perte ? »
Ses solutions : remettre une activité économique où le salaire trouve du sens car si l’activité économique existe, on est en capacité d’assurer du service public ; redonner une souveraineté aux échelles locales ; encourager la créativité par des concours d’étudiants dans les universités par exemple.
Mais pour cela il faut une vraie volonté politique. « Or, constate-t-il, nous nous trouvons face à des obstacles culturels : une grande défiance entre le gouvernement et la société et vice-versa ; un entreprenariat très vieillot ; un système hyper-centralisé ; le choix du nucléaire qui est inhibiteur des autres »…
On apprend avec stupéfaction qu’en France, on accepte les énergies renouvelables uniquement à hauteur de 30 % à cause des lobbies !
Pour lutter contre cela, des initiatives commencent à jaillir un peu partout dans le monde comme au Bengladesh où la Banque des Pauvres (dont il fait partie) a financé un système d’électricité solaire permettant à 2 millions de ménages d’obtenir l’électricité ou de sociétés agro-forestières au Pérou, au Brésil, au Sahel, au Kenya qui replantent des arbres, recréent un lien avec la nature, l’eau, améliorant ainsi la qualité de vie et diminuant la pollution.
« Les énergies vitales de la société, proclame Yannick Jadot, ne sont plus dans les institutions. Mais quand l’opinion s’élève, alors les pouvoirs publics les suivent. C’est ce qu’il faut avoir en tête ».
Corinne Lepage, ancienne Ministre de l’environnement et députée européenne est lucide : « On ne s’en sortira pas sans un contrepouvoir économique pour lutter contre une montée en puissance des lobbying et des mafia. Si on veut faire des choix différents au niveau institutionnel, le citoyen ne suffit pas sans poids économique ».
Elle va même plus loin en posant la question de la démocratie sur l’exercice du pouvoir lui-même, dans notre société de réseaux, d’influences partagées, d’expertise très diffusée.
Françoise Gaill, coordinatrice scientifique au CNRS, plateforme océan et climat a une certitude : « Un océan en bonne santé c’est un climat protégé ».
Pour attirer l’attention du COP 21 sur les océans, elle compte faire cinq propositions : trouver des solutions basées sur la nature ; relever le défi de l’adaptation au changement climatique (surtout pour les populations du littoral et des îles) ; penser à la manière de financer les projets ; faire les bons choix pour les énergies, l’alimentation et les transports ; vraiment investir dans la recherche.
Dans les territoires tournés vers l’océan : la pression climatique, déjà une réalité…
Plusieurs rapporteurs se succèdent avec chacun des expériences intéressantes car ancrées dans la réalité.
Maina Sage, députée de la Polynésie française veut sensibiliser le public sur les problèmes de la Polynésie. L’océan qui est le premier poumon de la planète et capte 25 % du gaz carbonique est entrain de s’acidifier en surface, ce qui a un impact direct sur le littoral et surtout sur les coraux, protection naturel des multiples îles constituant l’archipel.
Toute la communauté vit de l’océan et là-bas un code de l’environnement existe depuis 1964.
En 1970, un premier atoll a été classé « Réserve UNESCO » à l’initiative des citoyens accompagnés par les pouvoirs publics.
Depuis deux ans, à l’initiative du directeur de l’école et maire de la petite de Tahuata aux Marquises, le concept d’ «Aire Marine Educative » a vu le jour, une zone maritime littorale gérée de manière participative par une école ou un groupe d’élèves. Les enfants deviennent responsables de leur propre aire marine protégée dans la baie en face de leur école. Ce concept est désormais proposé à l’ensemble des écoles volontaires de Polynésie française.
Ezequiel Navio Vasseur, conseiller auprès du gouvernement des Canaries n’y va pas par quatre chemins en clamant qu’il faut changer la politique, la société, l’éducation et s’impliquer entièrement dans le changement de comportement.
« Aux Canaries, les gens sont à 80 % pour les énergies renouvelables ». Il y a donc récemment eu un bras de fer entre la population civile et le gouvernement au sujet d’un nouveau puits d’exploitation pétrolière par la société Repsol. Un grand mouvement citoyen, très déterminé, a manifesté sans faiblir contre ce forage et a fini par avoir gain de cause.
« Alors, poursuit le conseiller, si les Canaries ont eu la force de se lever contre la puissance Repsol, comment le monde ne peut pas se lever contre les lobbies ? »
On constate ainsi que dans les milieux insulaires, qui sont souvent seuls face aux problèmes, l’imaginaire se développe et chacun apprend à être créatif et innovant, à trouver des solutions…
Beaucoup de jeunes à l’extérieur du grand hangar où les groupes musicaux se succèdent. Beaucoup de jeunes à Darwin, en cela Hubert Reeves a vu juste. Reste à savoir s’ils ont signé la fameuse pétition…
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