Elle a un prénom de fée et un nom de réalisateur italien. Photographe. Touche à tout. Dotée d’une licence en art-plastique et d’un master pro en pratiques artistiques et action sociale, Morgane Visconti a plusieurs cordes à son arc d’artiste visuelle féministe.
Je l’ai découverte en août dernier, à travers son projet photo Les Cris Tacites, via le groupe Facebook privé Les Écologirls de Bordeaux, une communauté au féminin bienveillante de bons plans intelligents et cultivant l’entraide et les partages sincères !
Elle y avait posté un album composé de 15 photos et avait cartonné en les présentant comme suit :
Bonsoir les filles,
Je réalise depuis plus d’un an maintenant, une série de photographies nommée « les cris tacites ». Projet féministe et artistique, qui se construit en plusieurs étapes : un cri poussé dans l’espace urbain ( pas plus de trois en général), une photographie réalisée durant ce laps de temps et une question posée : « pourquoi tu cries ? »
Chacune est libre d’y répondre avec un texte poétique ou sous forme de témoignage.
Est-ce que certaines d’entres vous serez intéressées à l’idée d’y participer ?
Publiée par Morgane Visconti sur Dimanche 17 janvier 2021
Quelques mois plus tard, l’intérêt qu’avait provoqué ce post, suivi illico d’un contact par Messenger entre Morgane Visconti et moi, s’est transformé en un entretien dont voici la teneur.
Entre portraits, collages et écrits, les Cris Tacites de Morgane Visconti investissent l’espace urbain
Hello Morgane ! Peux-tu, en quelques mots, m’expliquer en quoi consiste ton projet Les Cris Tacites ?
Artistique et féministe, c’est avant tout un processus de création destiné à donner la parole à des femmes, à faire entendre des voix, leurs voix. À l’heure où des mouvements comme les collages féministes à Bordeaux, Toulouse, Paris, Nantes, etc… affluent, à l’heure où des pochoirs bourgeonnent sur les trottoirs et les murs, il est temps d’entendre ce qu’elles ont à nous dire.
C’est une remise en question des normes imposées, des conditionnements, une réappropriation de leurs corps et du territoire urbain. Déconstruction d’une société patriarcale, mon projet se construit en plusieurs étapes.
D’abord dans l’intime, un échange entre deux femmes. Ensuite un cri poussé en pleine rue et des photographies.
Puis une question posée : « pourquoi tu cries ? ».
Enfin, une réponse sous forme de texte poétique ou de témoignage réalisée par la participante.
On peut parler ici d’un travail sur les changements d’états intérieurs, d’un passage du dedans au dehors, d’une extériorisation de l’intériorité.
Et aussi du dépassement d’un interdit afin d’atteindre une forme de libération par le cri, par l’écrit, ce n’est pas un hasard si le titre de ce projet est à double sens. L’écrit tacite. L’interdit : Crier dans l’espace public.
C’est un véritable défi à relever pour la participante, difficulté, qui lorsqu’elle est dépassée lui apporte un sentiment de libération et de satisfaction.
Il n’est ici en rien question de performance théâtrale ou de performance artistique, mais de dépassement de soi. D’expérience. L’expérience du cri.
La photographie traduit le cri non entendu. On les voit, mais on ne les entend pas crier. Et pourtant elles crient.
A cela se rajoute une démarche personnelle de collages qui s’inscrit dans une volonté de réappropriation de l’espace urbain par l’action. C’est dans la rue que ce projet prend tout son sens social. Ces crieuses nous interpellent, s’imposent à nous. Qu’elles nous dérangent afin de nous questionner ou qu’elles nous apportent un peu de poésie et d’humanité, elles sont vues, entendues et elles prennent de la place.
Comment l’idée t’est-elle venue ?
C’est un mélange d’association d’idées et de vécu. Il y a quelques années, j’ai accompagné Aurore, une de mes amies, crier dans la forêt pour se libérer d’un trauma vécu dans l’enfance.
J’ai moi-même une histoire personnelle reliée à l’expérience du cri. Alors que j’expérimentais le mouvement en photographie avec un modèle, un cri flou m’est apparu en image, me rappelant alors le célèbre cri de Munch.
C’est à partir de cette image traduisant un sentiment personnel d’impuissance, de révolte, de rage et de désespoir, que j’ai décidé de commencer une série photographique sur le cri.
En parallèle j’ai ouvert un compte Instagram sous le nom de moxymord. Compte sur lequel pendant un an j’ai exprimé mes propres cris tacites, sans aucun filtres, ni censures.
Mon dépassement personnel de l’interdit et la matérialisation de mon propre cri s’est concrétisé par le passage à l’acte avec la réalisation de plusieurs pochoirs anonymes dans l’espace urbain. D’abord par révolte, et ensuite en soutien aux colleuses féministes de Bordeaux. En rajoutant à coté de leurs collages, des pochoirs : les cris tacites… et ne plus taire les cris.
Comment as-tu trouvé et choisi tes participantes ?
D’abord en faisant participer mes propres amies ou connaissances et ensuite via les réseaux sociaux, donnant ainsi la parole à des artistes féminines, poétesses, danseuses, écrivaines, comédiennes, peintres, plasticiennes. Puis grâce au post que tu connais, que j’ai partagé dans le groupe facebook des écolo girls de Bordeaux en août 2020.
Quels sont les ressorts principaux de ta démarche et tes choix esthétiques ?
Ce qui m’intéresse, c’est de donner la parole à toutes les générations confondues et toutes les classes sociales.
Concernant le choix esthétique de l’image, il y a l’idée d’une explosion, d’un son matérialisé, d’un visuel et d’un clin d’oeil aux femmes que l’on appelait sorcières et qui ont été brulées.
Chaque femme a son propre montage, car chaque femme est unique, riche de son éducation, de son histoire, de ses expériences, de son savoir et de son regard. J’essaie de restituer une impression ressentie lors de nos échanges et de nos rencontres, ce que j’ai pu saisir de la personnalité de chacune d’elles.
Allez, trois questions en une ! Quel est ton mode opératoire, où en es-tu et qu’envisages-tu pour l’avenir ?
Je travaille sans trépied. Sans flash et sans éclairages artificiels. Lors du shooting, trois cris au maximum sont poussés.
Actuellement les rencontres et les shootings continuent, j’espère au minimum une centaine de cris féminins.
Depuis le début de ce projet, je réalise ces shootings, toujours face au même mur. J’aimerais faire évoluer ce projet et faire crier des femmes ailleurs, peut être me déplacer dans leur quartier plutôt que de les faire venir dans le mien, les Capucins. Et sur le long terme j’envisage de me déplacer dans d’autres villes. Je prévois aussi de reprendre bientôt les collages de rue. J’ai hâte !
Pourquoi tu cries Aurore ?
– « J’ai commencé à crier à 29 ans. Oui, avant je n’avais jamais osé. J’avais peur que l’on me prenne pour une folle.
Il faut dire que bercée dans un monde où « Une petite fille en colère, c’est pas joli », je me suis appliquée à être une petite fille sage.
Pourtant ce cri, il m’aurait sauvée à l’âge de 7 ans. Avec les années, ma colère s’est transformée en rage. Cette rage, elle rongeait mon corps à petit feu. Je n’avais plus le choix, il fallait que je sorte de mon silence. Alors, j’ai crié. Un cri puissant et grave est sorti de mes entrailles. LA LIBÉRATION !!!!
Aujourd’hui, je ne suis plus sage. Je suis à la fois douce et sauvage et plus personne n’achètera mon silence. Je crie aussi pour tous les enfants et toutes les femmes qui n’osent pas crier. »
Texte : Aurore Laronze
Série les cris tacites, 2019. ©Morganevisconti tous droits réservés –
Contact
Si tu es intéressée pour pousser un cri tacite, enrichi d’un écrit catharsis, le tout destiné à être collé sur les murs de Bordeaux (en attendant qu’elle le fasse ailleurs), Morgane Visconti t’invite à la contacter via :
- son mail [email protected]
- son profil facebook
- son Instagram
Un cri comme un exorcisme, un cri pour être libre et dans ces cris tant de secrets enfouis. Cris Tacites, un merveilleux concept dont Morgane Visconti est l’architecte, Morgane Visconti, un nom prédestiné sentant si bon l’art.
Crier à la naissance, crier de joie, crier de désespoir et quand le temps est venu ce n’est qu’un soupir et le silence.
À Morgane Visconti,
Simon Eric, si poétique ! Merci !
Simon Eric,
Bonsoir, et merci pour ce beau commentaire, poétique effectivement..