Bruno Marty est depuis 2020 le maire de La Réole (33190), la ville d’art & d’histoire en Sud-Gironde qui le vaut bien (petit clin d’oeil au slogan publicitaire d’une célèbre marque de cosmétique dont elle est l’anagramme).
Si vous me suivez, vous le connaissez déjà, vu que je lui ai consacré plusieurs articles en tant que néo-réolaise depuis décembre 2023, mais à temps partiel pour cause de pieds entre deux vi(ll)es : La Réole, cité médiévale de 4 500 habitants dans l’Entre-Deux-Mers que j’ai choisie pour mon futur chapitre de vie, et (exit les Chartrons) Gradignan, la commune métropolitaine bordelaise où je m’occupe H 24, depuis plus de deux ans, de ma vénérable mère de 98 ans.
En février 2024, Bruno Marty a mis en place « Invite ton maire », un mode de communication inédit entre élus et concitoyens consistant à se rendre chez les habitants qui en font la demande, afin de favoriser une rencontre moins protocolaire et plus spontanée pour discuter de ses difficultés et favoriser la prise de parole de tous les publics.
Je l’ai rencontré personnellement deux fois. La première pour me présenter et faire sa connaissance. La seconde pour avoir des réponses d’ordre pratique sur des questions diverses après quelques mois d’échappée dans le Réolais et la création d’une page FB et d’un profil Instagram dédiés au mode de vi(ll)e de La Réole.
À chaque fois, mon chat Clifton était de la partie. La première, il avait reniflé Bruno Marty comme un beagle, le maire portant sur lui l’odeur de son chat Francis (un rouquin lui aussi) du nom du vieux monsieur (ardent défenseur de la cause féline, ainsi que mon voisin) qui le lui avait apporté parce qu’abandonné et qui s’appelle… Francis. La seconde fois, il avait dormi comme un BB.
Ce qui va suivre est un bilan de l’opération « Invite ton maire », mais aussi un focus sur la fonction de maire, loin, bien loin d’être une sinécure, surtout quand on l’exerce en milieu rural.
Bruno Marty, le maire invité à domicile par ses administrés, pour discuter, s’exprimer en toute convivialité et co-construire la vie de la cité
Bruno Marty connait bien la plupart des habitants de sa ville et cela sur plusieurs générations, puisqu’il est professeur de mathématiques au collège de La Réole.
Ce qui explique vraisemblablement son ouverture d’esprit et le rend particulièrement à l’aise avec les réseaux sociaux où, en parfait communiquant conscient que si tu veux être entendu, il faut être vu, il poste régulièrement ses réflexions, ses actions politiques, l’actualité de sa ville et même ses écrits qu’il met en musique et partage sur TikTok, que ce soit pour expliquer le théorème de Pythagore en mode rap (ah si j’avais eu un prof comme lui, ma relation avec les chiffres aurait été tout autre !), dénoncer le harcèlement scolaire ou s’adresser aux politiques parisiens qui nous gouvernent hors-sol et aux technocrates qui ne jurent que par leurs tableaux excel.
Bilan de l’opération « Invite ton maire » par Bruno Marty lui-même
Après dix mois d’opération « Invite ton maire » et plus de 100 invitations à domicile, Bruno Marty a tenu à partager sur son profil Facebook un premier bilan sur le ressenti général des habitants rencontrés. Cette opération, complétée par de nombreuses rencontres en mairie et lors de manifestations locales, lui ayant permis de mieux comprendre les besoins et souffrance de sa population.
« Ce qui se dégage de ces échanges, c’est un sentiment grandissant de dépossession et d’injustice. Nos habitants ressentent que leurs préoccupations sont de moins en moins prises en compte dans les décisions nationales. Les services publics, les services de santé, qui sont pourtant au cœur de la cohésion sociale et du quotidien, deviennent de plus en plus rares et difficiles d’accès, nourrissant un profond sentiment d’abandon.
L’impression que les politiques ne se préoccupent plus de leurs problèmes est récurrente, renforçant une fracture de plus en plus marquée avec les élites urbaines. Cette fracture se creuse notamment en raison de la perception que ces élites sont déconnectées des réalités rurales et par un sentiment de condescendance, notamment sur les questions écologiques. Des propos maladroits ou moralisateurs de certains politiciens accentuent malheureusement ce sentiment de déconnexion.
En tant que maire, il est crucial pour moi de recréer du lien et d’écouter ces voix. Être à l’écoute me permet de concevoir et de mettre en place une politique locale adaptée, véritablement ancrée dans le vécu et les attentes de nos concitoyens. C’est un enjeu majeur qui dépasse la simple gestion municipale : il s’agit aussi de jouer un rôle d’amortisseur face aux décisions nationales. En retissant les liens de confiance et en répondant de manière concrète aux besoins exprimés, nous pouvons redonner à chacun le sentiment d’être entendu et soutenu ».
Élites ! Le mot est dit ! Cette fracture sociétale entre la base et le sommet qui aura coûté le résultat des élections américaines aux démocrates déconnectés des classes populaires et favorisé la réélection de Donald Trump en dépit de toutes ses casseroles, de tous ses délires et outrances, et de tout ce qu’il va pouvoir faire dans un esprit de revanche avec le pouvoir qui est de nouveau le sien…
Cette réalité qui gagne aussi la France (et pas seulement) avec la progression constante du RN qui pourrait créer un choc aux prochaines présidentielles si le décalage perdure, comme l’observent les maires, surtout les ruraux, en première ligne :
- des difficultés de déplacement,
- des difficultés pour se soigner,
- du sentiment de ne pas être entendus,
- d’être stigmatisés ou méprisés par certains discours politiques culpabilisants.
Or à ce malaise croissant d’une grande partie de la population qui s’exprime en désaffection des urnes, quand ce n’est pas en révolte, en grèves et en manifestations, se rajoute de plus en plus celui des maires, ces couteaux suisses de la République, option punching ball.
Ces pressurisés, ces malmenés de la politique qui n’en peuvent plus, confrontés à des incivilités de plus en plus violentes, obligés de batailler pour des budgets de plus en plus réduits, la suppression des subventions, les lenteurs et les procédures administratives… (liste non exhaustive) les obligeant à un savant numéro d’équilibriste dans un emploi du temps épuisant où parfois les corps lâchent et où le découragement peut l’emporter :
Entre 2020 et 2023, près de 1 300 maires ont démissionné.
Un maire : un homme à tout faire, mais pas à tout supporter
Démissionner, Bruno Marty n’y pense pas une seule seconde ! Par contre, son investissement sans faille validé par une popularité qui va au-delà des étiquettes (bien sûr il y a des opposants et des mécontents à La Réole) ne l’a pas empêché de craquer comme il vient de le rappeler sur les réseaux sociaux.
FB 18 novembre 2024
Depuis ce post que j’ai publié le 22 juin 2023, suite à mon hospitalisation, j’avais pris la décision de ralentir le rythme et de recentrer mes priorités.J’ai délégué davantage de responsabilités à mes adjoints et élus, que je remercie sincèrement pour leur engagement sans faille et leur compétence.Parallèlement, nous avons renforcé les services supports de la ville. Cette organisation me permet aujourd’hui de consacrer plus de temps aux habitants, d’être à l’écoute de leurs besoins et de faire remonter leurs attentes de manière encore plus rapide.J’ai aussi réussi à me dédier davantage à ma famille, même si je sais qu’il me reste encore des progrès à faire pour atteindre un équilibre parfait.Enfin, j’ai repris le sport, qui me permet de rester énergique et surtout de souffler.Je m’octroie des vacances et quelques week-ends sans culpabiliser.Ces changements ont été bénéfiques, et je suis reconnaissant pour le soutien et la compréhension de chacun.Je ne suis pas le seul à avoir connu ces passages difficiles.Les maires sont aujourd’hui confrontés à une charge de travail croissante. La gestion des crises climatiques, économiques et sociales s’intensifie, tout comme les attentes des citoyens en matière de proximité et de réactivité.À cela s’ajoutent les compétences transférées par l’État aux communes, souvent sans moyens suffisants.Le maire est également en première ligne face aux tensions sociales et parfois aux incivilités ou agressions, ce qui peut engendrer une pression psychologique importante. Les semaines, chargées par les réunions, les événements publics et les urgences de dernière minute, laissent peu de temps pour la vie personnelle ou le repos.La fonction de maire est passionnante mais aussi exigeante, et il est essentiel d’adopter une organisation permettant de préserver sa santé et son équilibre personnel, comme je m’efforce désormais de le faire.Et surtout, j’ai enfin trouvé le bouton OFF.
Un congrès pour des élus au mandat exigeant où la disponibilité le dispute au dévouement
À l’heure où j’écris cet article a lieu la 106 ème édition du Congrès des maires et des présidents d’intercommunalité de France qui a débuté le 19 et se clôturera le 21 novembre 2024, au Pavillon du parc des expositions de la Porte de Versailles à Paris.
Le Congrès a pour thème « Les communes… Heureusement ! » avec un petit rappel de leur rôle prépondérant dans la marche du Pays dont ce n’est pas exagéré de dire qu’il part à vau l’eau (bon d’accord, il n’est pas le seul !)
« Dans la période de trouble politique et institutionnel que nous traversons, les communes sont un pôle de stabilité et un modèle. Elles font fonctionner les services publics du quotidien, portent des projets concrets qui améliorent le cadre de vie des habitants, donnent un sens à l’action publique, et font vivre notre démocratie à l’échelle locale.
Tout au long des débats, les multiples conférences et points infos montreront que, heureusement, les communes agissent :
– Pour faire vivre les libertés locales au service des citoyens, par le développement de nouveaux modes de participation des habitants, la fourniture de services publics de qualité, la valorisation de l’engagement local avec l’amélioration des conditions d’exercice du mandat, la contribution à la sécurité publique ;
– Pour renforcer la cohésion sociale, par les politiques d’inclusion et l’aide sociale aux plus vulnérables, la mise en place du service public de la petite enfance, la lutte contre les violences intrafamiliales, les initiatives en faveur de la santé mentale, la gestion des services de restauration collective avec les plans alimentaires territoriaux, l’adaptation des services publics aux besoins des habitants, le développement du logement, l’utilisation de l’intelligence artificielle pour améliorer l’efficacité de l’action locale ;
– Pour relever les défis de la transition écologique, par la gestion des risques, la politique de l’eau, la mise en place de mesures d’adaptation au changement climatique, la maîtrise de l’urbanisme et de l’aménagement, l’adaptation du ZAN, la gestion du trait de côte, le financement des infrastructures de transport, la lutte contre la délinquance environnementale.
Ce Congrès s’affiche comme l’occasion de réaffirmer la nécessité de la décentralisation, et donc de la liberté et de la responsabilité locales. La capacité d’agir des communes s’est toujours révélée précieuse pour surmonter les crises auxquelles notre pays a fait face ».
Et des crises, chez nous (et au-delà), on n’a pas fini d’en affronter. Ce serait ballot de la part du gouvernement, de négliger ceux qui s’échinent à les enrayer en réduisant leur capacité d’agir.
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