Depuis le début de l’année 2021, 44 féminicides ont été dénombrés. Certains, davantage médiatisés, ont mis en avant les nombreuses failles juridiques que ces affaires peuvent recéler. Dans de nombreux cas, le meurtre découle de violences conjugales subies pendant de nombreuses années.
Ces violences ont souvent lieu au sein d’un couple établi, mais ce n’est malheureusement pas le seul schéma dans lequel elles évoluent. En effet, 47% des 16-20 ans admettent avoir déjà subi des violences durant leur première relation.
Un chiffre aberrant pour un sujet encore tabou, que Serial blogueuse a évoqué dans un article tout récent. Mais si la question est encore peu abordée, les voix commencent peu à peu à se délier et le nombre de témoignages ne cesse d’augmenter. Cette vague de libération est portée par des femmes (victimes majoritaires de cette réalité indigne), qui ont décidé de raconter leur histoire à travers les réseaux sociaux, les médias ou même la littérature.
C’est le cas de Moi, Mademoiselle tout le Monde, un ouvrage écrit par Peggy Loriol. À travers ce roman 100% ovaires the rainbow, elle nous raconte SON histoire, qu’elle a vécue durant sa jeunesse et qui fait d’elle la femme indépendante qu’elle est devenue aujourd’hui. Un témoignage qui résonne profondément dans cette période où les violences conjugales sont au coeur de notre société dite évoluée, quand elle est encore tellement névrosée.
Quand le COVID favorise la catharsis concernant les violences conjugales d’un amour passé
Si l’envie d’écrire un roman trottait depuis de nombreuses années dans la tête de Moi, Mademoiselle tout le Monde, elle n’avait pourtant jamais sauté le pas.
D’abord par manque de temps. Son boulot ainsi que sa vie de famille exigeant beaucoup d’investissement, l’empêchaient d’écrire un roman en parallèle.
Ensuite, elle n’avait jamais vraiment voulu remettre cette histoire sur le tapis, surtout vis-à-vis de son « ex », dont il est question dans le roman.
Mais l’arrivée du COVID a tout bouleversé. La crise sanitaire la privant de son activité, elle a eu l’opportunité de trouver « ce temps » pour se lancer. De plus, ce garçon, qui était son premier amour, est décédé deux ans auparavant. C’est donc à ce moment-là qu’elle a décidé de débuter une nouvelle étape : rédiger un roman.
Le choix de la new romance pour attirer l’attention d’un public jeune sur les violences conjugales
Peggy Lorriol aka Moi, Mademoiselle tout le Monde, que nous appellerons de temps en temps M3, n’a eu aucun doute quant au choix du sujet. Elle savait ce qu’elle voulait dire et ce qu’elle voulait partager. Il ne lui restait plus qu’à choisir le format. Et c’est la new romance qui a gagné le premier prix.
Selon Wikipédia, le genre new romance se définirait comme tel :
» Il se caractérise par un contenu sexuellement plus explicite et peut contenir des éléments de n’importe quel sous-genre. En règle générale, il utilise un langage plus cru, délaissant les euphémismes utilisés dans les livres du genre. Les moments passionnés entre les personnages sont beaucoup plus nombreux, il s’agit d’actes sexuels et non d’une scène d’amour traditionnelle de plus. Malgré cela, la romance érotique ne peut se confondre avec la pornographie ou un roman érotique. En effet, tandis que les romans pornographiques ou érotiques se focalisent uniquement sur les actes sexuels, la romance érotique n’oublie pas les sentiments des personnages, elle reste avant tout une romance. «
L’objectif obéissant à une évidence pour Peggy : être lue avant tout par de nombreuses jeunes filles de la tranche d’âge des 16-20 ans. La new romance lui semblera d’emblée être le genre idéal pour attirer leur attention.
Car la new romance est un phénomène qui se développe de plus en plus chez un certain public féminin, porté par des succès éditoriaux et cinématographiques, tels que After de Anna Todd ou encore 50 Nuances de Grey de E.L.James.
De ce fait, elle a pensé qu’il serait plus simple pour cette catégorie de jeunes femmes de s’identifier à travers une romance : la lecture, alors facilitée, leur permettant d’ouvrir les yeux et de réaliser qu’elles vivaient peut-être une situation similaire sans vraiment le réaliser.
Une histoire passée qui fait pourtant écho au présent
Au travers de ce roman, on suit l’histoire de Morgane, une jeune lycéenne de 17 ans. Une jeune fille lambda, comme la décrit l’auteure : jolie, studieuse et entourée d’une famille aimante, elle est la représentation de « tout le monde ».
Cette jeune fille va faire la rencontre de Vince, un bad boy de 17 ans, dont elle va tomber follement amoureuse.
Au gré des pages, nous allons assister à l’évolution de l’amour que se portent ces deux personnages : des débuts magiques avec papillons dans le ventre et étoiles dans les yeux, prémices d’une véritable vie de couple, avant de finir par doucement se dégrader et voir la relation voler en éclat.
Des liaisons dangereuses qui résonnent dans beaucoup de témoignages
De manière générale et du fait que l’on en parle peu, beaucoup de jeunes filles ne s’imaginent pas vivre de vraies « violences conjugales » lors de leur premier amour.
» Je l’ai vécu, donc c’est vraiment une histoire d’amour. Quand je l’ai rencontré, je voulais vivre l’amour avec un grand A. Et il y a plein de petites choses, après avoir vécu cette expérience, où je me dis « mais tu aurais dû tilter ». Nous, on vit l’amour réellement, mais comme on ne sait pas vraiment ce que c’est, parce que c’est notre première histoire, on ne s’en aperçoit que quand ça devient hard au niveau violence. »
Moi, Mademoiselle tout le Monde a d’ailleurs reçu de nombreux témoignages après la publication de son roman : des jeunes filles qui, face au récit de notre auteure, ont réalisé qu’elles vivaient la même chose. Une situation qui désole M3 puisqu’elle constate que malgré les années, rien ne change et de nombreuses jeunes femmes subissent la même histoire.
Ce qu’elle espère, grâce à ce bouquin, c’est de réussir à communiquer en masse après de cette tranche d’âge inexpérimentée et vulnérable. Que les jeunes lisent le livre, le prêtent à leurs copines et ainsi de suite, pour que ce témoignage se répande. De cette façon, elle voudrait permettre à de nombreux lecteurs·trices d’éviter de se retrouver pris·es dans les filets d’une relation toxique.
Un titre auquel on peut tous et toutes s’identifier
Peggy cherche aussi, à travers son récit, à montrer que peu importe son environnement, tout le monde peut être entrainé dans ce cercle vicieux.
Dès le début du roman, elle insiste sur l’amour qu’elle a pu recevoir de son cocon familial : des parents aimants avec des vrais valeurs d’affection auxquelles elle a pu s’identifier.
» C’est pour ça que le livre s’appelle Moi, Mademoiselle tout le Monde : je représente tout le monde, je ne viens pas d’une famille riche ou pauvre, je viens de la « majorité des français », avec une vie normale, des parents normaux. Enfin qu’est-ce que la normalité ? «
Un roman qui montre le mécanisme vicieux dans lequel les victimes sont enfermées
Malgré cet environnement propice à l’amour, elle révèle bien, au travers de ce roman détaillé, la façon dont la plupart des victimes sont coupées de tout.
» Dans une situation comme ça, ils sont très fort les toxiques, ils vous écartent de votre monde. C’est le carcan total, et au début vous culpabilisez, puis ensuite, il y a la peur qui s’ajoute. »
Si elle a su mettre un terme à cette relation toxique, elle n’en n’a pas pour autant parlé tout de suite. C’est plus de 30 ans après, au travers de son livre, que ses amis découvriront ce qui s’est réellement passé.
Ses parents, aujourd’hui décédés, n’auront jamais su la vérité sur ce premier « terrible » amour :
» Ils n’ont jamais su mon histoire, car mon père m’aimait tellement qu’il l’aurait sûrement tué. »
Moi, Mademoiselle tout le Monde : une femme qui a su s’affirmer
Peggy Loriol est aujourd’hui créatrice et gérante de parcs de loisirs Indoor dans le Nord de la France.
Au cours de sa carrière professionnelle, elle a côtoyé de nombreux hommes, qui plus d’une fois, l’ont obligée à s’imposer et à prouver quelle méritait sa place.
» J’ai aussi travaillé dans le bâtiment où les premiers mois ont été très difficiles, car je suis quelqu’un de très féminin. Quand je mettais une jupe, on me disait « oh t’as un beau cul dans ta jupe ». Et là je me suis dit » qu’est-ce que tu fais ? Tu démissionnes ou tu t’affirmes ? ». J’ai décidé de rester et de m’affirmer. Après on ne me voyait plus comme une femme, mais comme une collègue, il n’y avait plus de distinction. «
Et c’est dans des situations comme celles-ci, que M3 réalise combien cette première histoire d’amour lui a énormément apporté. Elle est devenue plus forte face aux épreuves et cherche toujours à s’en sortir coûte que coûte.
» Je me suis dit : je ne me laisserai plus jamais marcher sur les pieds par un homme et je ferai ce que je veux. J’ai trop subi pour ne plus être libre. »
Un épisode douloureux, mais qui a laissé place à une vie sentimentale épanouie
Bien que cette histoire l’ait marquée au plus profond d’elle-même, Peggy ne s’est pas laissée « bousiller » sentimentalement et a décidé de rebondir. Car elle sait que si elle était restée, son futur aurait pris un tout autre tournant.
» C’est dramatique ! Et encore moi ça va. C’était de la violence, mais ça aurait fini par un meurtre si je n’avais pas su dire stop. J’ai déjà pris un couteau en voulant le planter, mais vous avez une voix qui vous dit que si vous faites ça, la vie de vos parents sera foutue, votre propre vie le sera aussi et c’est ce qui vous retient de ne pas passer à l’acte. »
Après ce premier « amour », elle a su se reconstruire et a rencontré son premier mari, dont elle se séparera quelques années plus tard. Aujourd’hui remariée avec Laurent, elle est mère de jumeaux. Heureuse et épanouie, elle affirme avec fierté qu’elle a réussi à s’en sortir.
Un récit que Peggy Loriol aimerait faire connaître à plus grande échelle
Malheureusement, elle sait que ce n’est pas le cas pour tout le monde et que beaucoup continuent de rencontrer des personnes toxiques au cours de leurs vies. Certains·nes n’arriveront jamais à sortir de ce cercle vicieux.
» Ces personnes-là ont peut-être besoin d’être aidées par un psy, un proche, pour reprendre confiance en elles. »
Elle estime que le sujet n’est pas encore assez démocratisé. C’est pourquoi au delà de cet ouvrage, elle aimerait étendre cette histoire sur grand écran. Car si les violences conjugales ont déjà été abordées au cinéma, elle ne sont que très rarement, voire jamais représentées à l’adolescence, au cours des premières amours, des premières relations.
» Il faut des figures pour dénoncer ces violences conjugales. Pour moi, quand ça s’est passé, je n’en avais jamais entendu parler, pourtant j’avais 17 ans. Donc, il faut que les jeunes filles parlent, que ce ne soit plus un carcan. Je veux en faire de la résilience. »
Moi, Mademoiselle tout le monde est une ode à la liberté. À travers ce livre, Peggy ne cherche pas à faire juste sa thérapie. Son objectif aujourd’hui, c’est d’en faire sa force et de pouvoir aider celles qui vivent la même histoire. C’est d’ailleurs ce qu’elle exprime dans les dernières pages de son roman.
» Des regrets ? Aucun, cette partie de ma vie a contribué à ma construction. Ce garçon a participé à forger celle que je suis aujourd’hui : une Femme avec un grand F, autonome, déterminée, bienveillante ! »
L’avis des lecteurs (et « ui », on en fait partie !)
C’est sans aucun doute que nous vous l’annonçons : ce bouquin mérite d’être défendu haut et fort. Le message transmis est puissant et peut toucher n’importe quel lecteur et surtout n’importe quelle lectrice.
Moi-même, Pauline, qui ait découvert un univers totalement inconnu, je me suis vue transportée dans la tête de ce personnage auquel j’ai facilement pu m’identifier au début. Cette expérience « de l’intérieur » nous permet d’ouvrir les yeux sur la situation de jeunes victimes de violences conjugales.
Les différents épisodes émotionnels sont intenses et nous font vivre l’histoire à 100%.
Après le fond, dont l’intérêt n’est pas à remettre en cause, parlons de la forme. Le bouquin, écrit en 6 mois (!), est un tout premier essai pour notre auteure en herbe. Elle-même l’admet, à la base, elle n’est ni auteure, ni écrivaine.
On le ressent souvent au fil des pages, avec des fautes d’orthographes, des erreurs de ponctuation et des dialogues qui passent mieux à l’oral qu’à l’écrit. Une accumulation qui pourrait rebuter certains lecteurs, mais l’auteure elle-même consciente de son inexpérience, s’en excuse, sa priorité étant au message porté.
Peggy qui a auto-édité son oeuvre, assume son choix. Cette décision donne d’un côté un véritable aspect authentique à l’ouvrage, même si de l’autre ce pourrait être un handicap. Nous avons nous-mêmes hésité à rédiger cet article, mais le fond, justement, l’a emporté sur la forme.
Incitées par tous les avis que nous avons pu lire sur ce livre, preuve manifeste de la résonance qu’il a eu sur de nombreux lecteurs·trices, notre réticence a volé en éclat. La personnalité résiliante et positive de Peggy ayant également contribué à finir de nous convaincre.
Violences conjugales : il faut que la peur change de camp !
Si Peggy Loriol a opté pour l’auto-édition et refusé de vendre son livre sur Amazon, elle n’est en aucun cas fermée à une collaboration avec un éditeur. Ce serait d’ailleurs pour elle une nouvelle étape qui lui permettrait, non seulement d’améliorer son récit grâce au travail éditorial dont elle pourrait bénéficier, mais aussi d’accéder au réseau de distribution des libraires. Au vue de l’actualité émaillée de faits divers tragiques, éditeur bien inspiré et libraires gagneraient à intégrer dans leurs catalogues et leurs rayons de livres témoignages/histoires vécues, un récit qui ferait bouger les lignes des relations hommes/femmes.
Chers éditeurs·trices, à vous de jouer ! Chers serial lecteurs·trices bonne lecture !
NB : Vous pouvez retrouver Moi, Mademoiselle tout le monde :
- directement sur le blog de Peggy Loriol,
- en version e-book sur Amazon grâce à l’application Kindle,
- sur la boutique en ligne de Serial Blogueuse.
Une chronique prenante, un témoignage fort sur un fait de société qui s’accentue et se banalise, une chronique qui appelle à la réflexion et qui éveille en moi tant d’incompréhension.
Bravo à Peggy Loriol pour ce livre secours, pour ce livre sans détour car à travers « Moi, Mademoiselle tout le monde », elle fait don de sa personne et de son expérience pour toutes ces femmes prisonnières de ces violences qui semblent sans fin. Nous ne pouvons qu’être admiratif de sa résilience qui s’affirme dans son sourire.
Bien sur Peggy n’est pas Charles Péguy, fautes d’orthographes, erreurs de ponctuation, mais la vérité est toujours celle du coeur et n’a cure des fautes quand la passion est là.
Un article très intéressant et poignant.
C’est un combat qui prend du temps, alors qu’il faudrait qu’il avance à grand pas. Il y a urgence !
En effet Kiara ! Un combat dont on parle de plus en plus aujourd’hui ! Et c’est tant mieux !
Merci pour votre article et la découverte de ce livre. Plasticienne, J’ai réalisé pour la Journée des Femmes une installation dans un centre d’art sur le violences faites aux femmes. Intitulée « Loi n°2010-769 », elle rend tristement hommage aux 130 femmes décédées en 2018 et 141 en 2019 en France et à toutes les autres décédées dans le monde, victimes de leur partenaire ou ex-partenaire.
A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/loi-n2010-769_2.html
Et aussi « This is not consent » sur la culture du viol : https://1011-art.blogspot.com/p/thisisnotconsent.html
Ces séries ont été présentées à des lycéens. Quand l’art contemporain ouvre le débat ?
En effet, il y a des ponts à établir ! Et l’art est un excellent mode de sensibilisation ! Bravo à vous !